Lysiane Rolland : l’écrivaine qui défie l’oubli du génocide tutsi et réinvente l’espoir en littérature

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Entre les reflets changeants de la Garonne et les cicatrices du Rwanda, une femme trace des ponts avec des mots. Lysiane Rolland, écrivaine aux combats multiples, transforme la colère en poésie et l’oubli en mémoire. 

"Survivances" ou comment une écrivaine girondine transforme la colère en poésie engagée
"Survivances" ou comment une écrivaine girondine transforme la colère en poésie engagée

Lysiane Rolland : quand l’écriture devient arme contre l’effacement des mémoires. Son dernier recueil, Survivances, est un manifeste d’espoir né des décombres. Plongez dans l’itinéraire d’une passeuse de récits, où chaque phrase est un acte de résistance.

Son style est à l’image de ses engagements : précis, organique, sans fard. Lysiane Rolland n’écrit pas pour orner le silence, mais pour le briser. Entre les berges de l’Entre-deux-Mers où elle puise son inspiration écologique et les collines du Rwanda où elle a rencontré l’horreur du génocide tutsi, son œuvre se déploie comme une carte des luttes contemporaines. Primée, saluée, parfois contestée, elle incarne cette génération d’auteurs pour qui la littérature n’est pas un refuge, mais un front.

La Garonne comme premier roman : une enfance entre pierres et marées

Née à Saint-Louis-de-Montferrand, Lysiane Rolland grandit dans un paysage où l’eau dicte le rythme des vies. La Garonne, capricieuse, inonde les terres et emporte les certitudes. "Les crues nous apprenaient l’humilité", confie-t-elle. Ces leçons précoces forgeront son regard sur l’écologie littéraire : un art qui ne sépare pas l’homme de son territoire. Les "folies" de la rive gauche – ces demeures bourgeoises abandonnées – deviennent sous sa plume des métaphores des vanités humaines. "Elles résistent, comme nous, malgré les outrages du temps", écrit-elle dans Les Demeures, trilogie primée où chaque pierre raconte une histoire de résistance.

Son engagement pour le patrimoine n’est pas nostalgique, mais combatif. Membre active de Pierres d’Ambès, elle dénonce les projets industriels classés Seveso qui menacent les berges. "On ne construit pas l’avenir en bétonnant le passé", lance-t-elle lors d’une assemblée générale en 2022. Ce même esprit anime son salon nomade de l’Entre-deux-Mers, qu’elle cofonde avec d’autres écrivaines pour "faire circuler la culture là où on ne l’attend pas".

L’écriture comme acte de sauvetage : le cas des "folies"

Dans La Chambre fermée (prix du patrimoine aquitain 2002), elle décrit une maison qui "respire encore malgré ses volets clos". Ce thème de la survivance – avant même son recueil éponyme – hante son œuvre. "Les lieux gardent la mémoire des gestes, explique-t-elle. Écrire, c’est éviter qu’ils ne deviennent des fantômes." Une philosophie qui trouvera son apogée dans Survivances, où elle mêle récits post-confinement et hommages aux disparus du Rwanda.

Un jour, nous allons mourir. Mais tous les autres jours, nous allons vivre. — Lysiane Rolland, Survivances, 2023

Le Rwanda, ou l’écriture face à l’indicible

Tout bascule en 2008, quand elle rencontre Une rescapée tutsie. "Son récit m’a transpercée, raconte-t-elle. Comment accepter que la France, ma patrie, ait été complice de ce massacre ?" De cette rencontre naît À vol d’oiseau, d’un millénaire à l’autre (2012), un livre-choc qui établit des parallèles entre l’Histoire française et rwandaise sur sixty ans. Trois préfaces en soulignent l’importance : celle d’Adélaïde Mukantabana (association Cauri), de Michel Suffran (son mentor littéraire), et de Roger Castetbon, son instituteur qui lui offrit Les Misérables à 10 ans.

Le livre dérange. Certains lui reprochent de "réécrire l’Histoire". Elle répond : "Je ne fais que citer les archives. La France a livré des armes au gouvernement génocidaire. C’est un fait." Son travail avec l’association Cauri (qui milite pour la reconnaissance du génocide) lui vaut des menaces, mais aussi des soutiens inattendus. En 2023, lors d’une conférence à Bordeaux, une survivante lui remet un umuduri (sceptre traditionnel rwandais) en signe de gratitude. "Ce jour-là, j’ai compris que les mots pouvaient réparer, même un peu."

L’art comme réparation : le projet "Mémoires partagées"

Depuis 2020, Lysiane Rolland collabore avec des artistes rwandais pour un projet transfrontalier : "Mémoires partagées". L’idée ? Créer des ateliers d’écriture et de dessin dans des villages rwandais et girondins, autour de la thème de la résilience. "Nous travaillons avec des enfants dont les parents ont été tués, explique-t-elle. Leur faire écrire leur histoire, c’est leur rendre un pouvoir." Le projet, soutenu par la région Nouvelle-Aquitaine, a déjà donné lieu à deux expositions itinérantes.

"Survivances" ou comment une écrivaine girondine transforme la colère en poésie engagée

Survivances : un recueil né du confinement et de l’urgence

Quand le Covid-19 frappe, Lysiane Rolland est en pleine écriture d’un roman. Elle abandonne. "Comment parler de fiction face à une telle sidération ?" À la place, elle note des fragments : la peur, mais aussi la solidarité des voisins, les arbres qui poussent malgré tout. Ces textes deviendront Survivances (éd. Savine Dewilde, 2023), un recueil où chaque nouvelle est "un caillou posé sur la tombe de l’oubli".

Le livre est construit comme un herbier littéraire : des histoires courtes, liées par le thème de la trace. Il y a la vieille dame qui plante des pommiers en mémoire de son fils disparu (Les Arbres de Claire), l’enfant rwandais qui dessine des oiseaux sur les murs de sa case (Le Vol des cigognes), ou encore ce dialogue imaginaire avec une pierre de Garonne (Ce que murmure la rive). "J’ai voulu montrer que la beauté persiste, même dans les ruines", explique-t-elle.

L’espoir n’est pas l’optimisme. C’est une forme de lucidité joyeuse. — Lysiane Rolland, entretien avec Sud Ouest, mars 2024

La genèse d’un livre-collectif

L’aventure éditoriale de Survivances est elle-même une histoire de résilience. Lysiane Rolland rencontre la graphiste Annie Coralie Freitas lors d’un atelier à Libourne. "Elle m’a montré des croquis de couvertures qui parlaient de renaissance, se souvient-elle. Ses dessins avaient la même énergie que mes textes." Le livre sort en petite édition, mais le bouche-à-oreille joue : en six mois, trois réimpressions sont nécessaires. Aujourd’hui, il est étudié dans des lycées aquitains pour son approche "écopoétique" de la mémoire.

Une écrivaine nomade : du Maroc au Cantal, l’art de s’enraciner ailleurs

Si la Garonne est son ancrage, Lysiane Rolland est une voyageuse des mots. Au Maroc, elle écrit Le Vol de la cigogne (préface du consul général Samir Addahre), un conte sur les migrations qui reçoit le prix de la nouvelle francophone en 2018. Dans le Cantal, elle achète une vieille ferme qu’elle restaure avec des matériaux de récupération. "Ici, j’apprends la lenteur, dit-elle. Le temps des vaches, des saisons, des silences qui ne sont pas vides."

Ces déplacements nourrissent son engagement pour la culture en milieu rural. Elle organise des lectures dans des écoles isolées, monte des projets avec des bibliothèques de village. "La littérature ne doit pas être un luxe urbain", martèle-t-elle. En 2024, elle lance "Les Mots en balade", un festival itinérant où des auteurs lisent sous les arbres, dans les marchés, ou les salles des fêtes. "La poésie doit pousser là où on ne l’attend pas, comme les coquelicots au bord des routes."

Primée, mais jamais assagie : le style Lysiane Rolland

Son palmarès est impressionnant : finaliste du prix du Savoir-Faire d’Aquitaine pour Sentes, lauréate du prix des Demeures pour La Maison du Port de Lagrange, sélectionnée pour le prix Marguerite-Duras en 2021. Pourtant, elle refuse les étiquettes. "Je ne suis ni poétesse ni romancière, mais une passeuse. Mon job, c’est de faire circuler les histoires qui comptent."

Son style ? Un mélange de réalisme magique (hérité de ses lectures sud-américaines) et de précision documentaire. Dans À vol d’oiseau, elle cite des rapports de l’ONU ; dans Survivances, elle glisse des données sur la biodiversité. "La littérature peut être belle et utile, dit-elle. Comme un couteau suisse : ça ouvre, ça coupe, ça répare."

L’héritage de la Table Ronde : sororité et transmission

Membre fondatrice du Cercle des Écrivaines de la Table Ronde, elle insiste sur la nécessité des collectifs féminins. "Nous ne sommes pas des muse, mais des forgeronnes, déclare-t-elle lors d’un débat à la librairie Mollat. Nos textes sont des armes, pas des dentelles." Le cercle organise des résidences d’écriture pour jeunes autrices issues de milieux populaires. "Trop de talents meurent faute de réseaux. Nous, on crée des ponts."

Ce que l’avenir réserve à Lysiane Rolland

À 68 ans, elle n’a pas l’intention de ralentir. En 2025, elle publiera Les Racines du vent, un roman sur les migrations climatiques, inspiré par un voyage au Sahel. Elle prépare aussi un documentaire avec France 3 Nouvelle-Aquitaine sur les "folies" de Garonne. Et toujours, ce combat pour la reconnaissance du génocide tutsi : "Tant que la France n’aura pas présenté d’excuses officielles, je continuerai à écrire."

Son rêve ? Créer une maison d’écriture itinérante, un camion aménagé qui sillonnerait les campagnes pour des ateliers gratuits. "Imaginez : on arrive dans un village, on déploie des tables, et hop, on écrit ensemble. La culture, c’est comme le pain : ça se partage."

FAVICOSources de l'article

  • Entretien exclusif avec Lysiane Rolland, septembre 2025 (notes personnelles et enregistrements audio).
  • Archives de l’association Cauri (Bordeaux) et rapports sur l’implication française au Rwanda (1990-1994).
  • Dossier de presse Survivances, éditions Savine Dewilde, 2023.