Nichée sous la basilique Saint-Seurin, au cœur de Bordeaux, la crypte fait partie de ces lieux où l’histoire se mêle au sacré, et où le mystère affleure à chaque pierre. Classée au patrimoine mondial de l’UNESCO au titre des Chemins de Compostelle, elle attire autant les passionnés d’archéologie que les voyageurs curieux et les pèlerins en quête de spiritualité.
Lieu de mémoire, de culte et de mystère, elle attire autant les passionnés d’histoire avides de légendes.
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La crypte de Saint-Seurin de Bordeaux : entre histoire, légendes et mystères
Une plongée dans les origines de Bordeaux
L’histoire de la crypte débute bien avant l’édification de la basilique actuelle. Sous ses voûtes, les archéologues ont mis au jour une nécropole paléochrétienne qui témoigne de l’occupation du site dès le IVᵉ siècle. Des sarcophages mérovingiens et carolingiens, magnifiquement sculptés, racontent la permanence de ce lieu de sépulture à travers les siècles.
Un cimetière vieux de seize siècles
Sous la basilique, les archéologues ont révélé une vaste nécropole paléochrétienne, dont les origines remontent au IVᵉ siècle. Plus de 400 sépultures ont été mises au jour : sarcophages monolithes, tombes richement décorées, mausolées effondrés… Autant de témoins silencieux de l’importance de ce site dans l’histoire religieuse et funéraire de Bordeaux.
Du temps des premiers chrétiens jusqu’au Moyen Âge, Saint-Seurin était un haut lieu d’inhumation. On y enterrait les notables, les saints locaux, et peut-être même certains compagnons de Charlemagne. Les fouilles montrent une stratification d’époques : on passe des amphores romaines aux pierres sculptées mérovingiennes, des chapelles funéraires médiévales aux réemplois d’éléments décoratifs. Chaque sarcophage raconte une histoire : celle d’un monde où la mort se liait intimement à la foi et à l’espérance de résurrection.
Pour les habitants de Burdigala, l’antique Bordeaux, Saint-Seurin représentait un espace sacré, un lien entre la terre et le divin. L’importance spirituelle du lieu fut telle qu’il devint rapidement un centre religieux majeur de la ville.
La crypte, étape des chemins de Compostelle
Au Moyen Âge, Bordeaux était une étape incontournable des pèlerins en marche vers Saint-Jacques-de-Compostelle. La crypte de Saint-Seurin offrait une halte riche en émotions : elle permettait de contempler les sarcophages des premiers chrétiens, mais aussi de prier au contact de reliques vénérées.
On descend sous la basilique, dans le caveau souterrain, on découvre les sarcophages mérovingiens, on imagine alors les pas des pèlerins médiévaux et l’on se laisse envelopper par l’atmosphère unique de ce lieu hors du temps !
La renommée de la basilique fut telle que chaque nouvel évêque de Bordeaux devait s’y rendre pour une cérémonie d’intronisation, signe du rôle central joué par Saint-Seurin dans la vie religieuse de la cité.
Légendes et croyances populaires
Mais la crypte ne se réduit pas à ses vestiges : elle est aussi habitée par des récits et des croyances qui ont façonné l’imaginaire bordelais.
- Saint Seurin (ou Séverin), évêque de Bordeaux, aurait donné son nom à la basilique. Certains ont cru reconnaître sa sépulture parmi les sarcophages, bien que l’histoire reste floue.
- Saint Martial, venu de Limoges, aurait laissé son bâton pastoral miraculeux sur place, rendant l’église célèbre sur les chemins de Compostelle.
- Saint Fort : son tombeau est encore visible dans la crypte. Le culte qui lui est associé était si populaire que des familles bordelaises venaient y déposer leurs enfants le 16 mai, persuadées qu’ils en sortiraient « fortifiés ». Ce rituel tirait en réalité d’un malentendu : le mot fort viendrait de feretrum, qui désignait simplement une châsse. La croyance s’est muée en personnage de sainteté.
Et puis, il y a le récit le plus célèbre : celui de l’olifant de Roland. Selon la tradition, le cor du neveu de Charlemagne, héros de Roncevaux, aurait été déposé sur l’autel de Saint-Seurin. Dans la Chanson de Roland, cet épisode fait de Bordeaux un carrefour symbolique du destin chevaleresque et sacré.
Parmi les légendes attachées à la basilique et son sépulcre, celle de Roland de Roncevaux, neveu de Charlemagne, occupe une place particulière. Héros de la célèbre bataille de 778, Roland trouva la mort dans les gorges pyrénéennes, trahi par les Vascons. La tradition veut que Charlemagne, accablé par la perte de son preux chevalier, ait rapporté à Bordeaux l’olifant de Roland, une corne d’ivoire devenue symbole de sacrifice.
Qu’est devenu l’olifant de Roland, déposé par Charlemagne à Bordeaux ?
La Chanson de Roland, le grand poème épique du XIᵉ siècle raconte la bataille de Roncevaux (778) et la mort héroïque de Roland, neveu de Charlemagne :
Vint a Burdeles, la citet de… De sur l’alter seint Sevrin le baron Met l’oliphan plein d’or e de manguns : Li pelerin le veient ki la vunt. »
Cela signifie que, selon la légende et la tradition littéraire, l’olifant de Roland (sa corne de guerre) aurait été déposé par Charlemagne sur l’autel de la basilique Saint-Seurin à Bordeaux.
- « oliphan » = cor d’ivoire de Roland, symbole de son courage à Roncevaux.
- « Burdeles » = Bordeaux (forme médiévale du nom).
- « seint Sevrin » = Saint-Seurin.
- « Met l’oliphan plein d’or e de manguns » = Charlemagne y dépose l’olifant rempli d’or et de richesses.
- « Li pelerin le veient ki la vunt » = Les pèlerins qui passent à Saint-Seurin peuvent contempler cette relique.
La Chanson de Roland ancre Bordeaux et Saint-Seurin dans la légende carolingienne, en faisant de la basilique une étape prestigieuse des pèlerins de Compostelle. Chef-d’œuvrre de la littérature médiévale, elle relate cette offrande :
Il arriva à Bordeaux, la cité. Sur l’autel de Saint-Seurin, le baron déposa l’olifant plein d’or et de pierres précieuses. Les pèlerins qui passent par là peuvent le voir. "
Déposé sur l’autel de la basilique, l’olifant aurait fasciné des générations de pèlerins sur les Chemins de Compostelle. Sa disparition, au fil des siècles, ajoute aujourd’hui une aura mystérieuse à la crypte. Était-ce un trésor pillé ? Une relique cachée ? Nul ne le sait. Mais cette énigme contribue encore à l’attraction presque magnétique qu’exerce le site sur les amateurs d’histoire et de légendes.
Au-delà de l’olifant, d’autres récits nourrissent l’imaginaire autour de Saint-Seurin. On dit que de nombreux chevaliers tombés au combat y auraient trouvé sépulture, que des reliques précieuses y furent gardées et que les murs eux-mêmes conservent la mémoire des grandes heures médiévales de Bordeaux.
La crypte est devenu un témoin archéologique exceptionnel, renfermant des reliques vénérées, transférées ou cachées lors des invasions et pillages. Elle incarne le croisement de l’histoire officielle et de la tradition populaire, entre certitudes des fouilles et récits transmis au fil des siècles.
Un site classé au patrimoine mondial
Inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO en tant qu’étape des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, la basilique Saint-Seurin et sa crypte occupent une place majeure dans l’histoire de Bordeaux. Elle était l’une des premières haltes pour les pèlerins en route vers Compostelle, attirés par ses reliques et ses légendes. Aujourd’hui encore, le site garde ce parfum de passage, de carrefour spirituel.
Visiter la crypte de Saint-Seurin, c’est accepter de se laisser guider à travers seize siècles de mémoire : des premiers chrétiens à Charlemagne, des saints vénérés aux enfants confiés à Saint Fort, des pèlerins de Compostelle aux chercheurs modernes. C’est un voyage au croisement de l’histoire et du mythe.
Et lorsque l’on ressort à la lumière, sur la place des Martyrs de la Résistance, on garde en soi ce sentiment étrange d’avoir effleuré un secret, dans un lieu mystérieux qui nous surprend et nous questionnent. Un secret que Bordeaux, jalouse de son patrimoine, ne dévoile qu’aux curieux assez patients pour frapper à la bonne porte.
Un prochain article à venir : Roland seigneur de Blaye !
informations pratiques
- Lieu : Crypte de l’église Saint-Seurin, place des Martyrs de la Résistance, Bordeaux
- le site officiel de la Ville de bordeaux.fr
- Accès : tram ligne B, arrêt Saint-Seurin
Sources de l'article
- UNESCO – Chemins de Saint-Jacques de Compostelle
- Ville de Bordeaux – Crypte Saint-Seurin