Dans un contexte de déclin accéléré de la biodiversité, le Parc naturel régional des Landes de Gascogne a mis en place dès 2012 un protocole inédit : les Carrés Biodiversité. En partenariat avec la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO), ce dispositif permet de mesurer l’état de santé des espèces locales sur 41 zones de 2 km². Après 15 ans de relevés, les données révèlent des tendances préoccupantes, mais aussi des surprises. Comment ces suivis aident-ils à comprendre et préserver la biodiversité ?
Une méthode scientifique pour mesurer l’invisible
Comment évaluer la santé d’un écosystème ? En suivant, année après année, les populations d’espèces indicatrices. Les Carrés Biodiversité se concentrent sur quatre groupes : oiseaux communs, papillons de jour, libellules et chauves-souris. Ces espèces, sensibles aux changements environnementaux, agissent comme des sentinelles de la biodiversité.
Un protocole rigoureux et reproductible
Les inventaires sont réalisés selon des protocoles standardisés, inspirés des méthodes nationales et européennes. Chaque carré est visité plusieurs fois par an, à des périodes clés pour les espèces ciblées. Les données, collectées par des naturalistes formés, sont ensuite analysées pour dégager des tendances statistiques. Ce suivi s’inscrit dans une démarche plus large de surveillance de la biodiversité en France, comme le souligne le schéma directeur publié en 2024 par le ministère de la Transition écologique.
Le choix des 41 carrés de 2 km², répartis aléatoirement sur le territoire, permet d’obtenir un échantillon représentatif des milieux naturels des Landes de Gascogne, une région marquée par ses landes, forêts et zones humides.
Les oiseaux : entre déclin et adaptation
Parmi les 132 espèces d’oiseaux recensées, 16 présentent des tendances statistiques significatives. Si le Pigeon ramier voit ses effectifs exploser, 10 espèces sont en déclin, comme le Coucou gris ou le Pipit des arbres. Ces baisses s’expliquent par la perte d’habitats (landes, prairies) et les dérèglements climatiques. À l’échelle régionale, le déclin des grues cendrées dans les Landes, lié au réchauffement climatique, confirme cette tendance : en 2025, seulement 25 000 individus ont été comptés contre plus de 63 000 en 2023.
Les causes de ce déclin sont multiples : perte de milieux ouverts, intensification agricole, et changements climatiques qui perturbent les cycles de reproduction et d’alimentation. Certaines espèces, comme le Courlis cendré, réapparaissent ponctuellement sur des zones incendiées, montrant une capacité d’adaptation limitée.
Ces résultats confirment ce que l’on observe à l’échelle nationale, mais avec des nuances locales. Certaines espèces déclinent plus vite ici, d’autres résistent mieux. Cela montre l’importance des suivis territoriaux pour adapter les politiques de conservation, précise un naturaliste de la LPO Aquitaine, source LPO Occitanie.
Les papillons : des indicateurs climatiques
Sur les 75 espèces de papillons observées (soit 86 % des espèces connues dans le parc), 4 montrent des tendances claires. Le Fadet des laîches, espèce protégée, a vu ses populations chuter de plus de 80 % en 15 ans, victime de l’assèchement des zones humides. À l’inverse, la Mélitée du Plantain, inféodée aux milieux ouverts, progresse de plus de 20 %. Ces évolutions reflètent les changements climatiques et les pratiques agricoles.
Un lien direct avec les pratiques agricoles et le climat
La disparition des landes et prairies humides est pointée du doigt. Les lagunes, autrefois riches en biodiversité, s’assèchent sous l’effet des drainages et des sécheresses répétées. Un constat qui interroge sur les modèles de gestion des territoires et l’urgence de restaurer ces milieux, comme le préconise la Stratégie nationale pour la biodiversité 2030..
Les papillons, en tant qu’indicateurs, révèlent aussi l’impact des événements climatiques extrêmes (sécheresses, canicules) sur les écosystèmes. Leur déclin est un signal d’alarme pour l’ensemble de la chaîne alimentaire.
Libellules et chauves-souris : des protocoles à affiner
Pour les libellules et les chauves-souris, les données ne permettent pas encore de dégager des tendances statistiques robustes. Cependant, 56 espèces de libellules (90 % du total régional) et 17 espèces de chauves-souris (dont la Grande Noctule, espèce patrimoniale) ont été recensées. Ces inventaires soulignent la richesse des milieux aquatiques et forestiers du parc.
Les protocoles actuels comportent des biais méthodologiques, notamment pour les libellules, dont le suivi dépend fortement des conditions météo. Pour ces groupes, des études ciblées sur 1 à 3 ans seraient plus adaptées, comme le recommande l’Observatoire Aquitain de la Faune Sauvage.
Et demain ? Vers une gestion adaptative des écosystèmes
Les Carrés Biodiversité ne sont pas qu’un outil de mesure : ils doivent inspirer l’action. Les données collectées permettent d’identifier les leviers de préservation les plus efficaces, comme la restauration de zones humides ou la création de corridors écologiques. Ces initiatives s’inscrivent dans la Stratégie nationale pour la biodiversité 2030, qui vise à stopper et inverser la destruction des écosystèmes.
Le Parc naturel régional des Landes de Gascogne et la LPO Aquitaine préconisent de poursuivre les inventaires pour gagner en robustesse statistique et affiner les préconisations. L’objectif ? Alimenter les politiques publiques et sensibiliser les acteurs locaux à l’urgence de préserver les milieux naturels.
Ces suivis sont une mine d’or pour les gestionnaires. Ils nous aident à prioriser nos actions et à mesurer leur impact sur le long terme. La clé, c’est de transformer ces données en actions concrètes, en collaboration avec les agriculteurs, les forestiers et les collectivités, consolide un responsable du Parc naturel régional des Landes de Gascogne, source Observatoire de la Biodiversité des Forêts.
Un modèle pour la surveillance de la biodiversité en France
Les Carrés Biodiversité des Landes de Gascogne s’inscrivent dans une dynamique nationale de surveillance de la biodiversité. Le Schéma directeur de la surveillance de la biodiversité terrestre (SDSBT), publié en 2024, encadre ces dispositifs et vise à harmoniser les méthodes sur l’ensemble du territoire landais.
Ce modèle pourrait être reproduit dans d’autres Parcs naturels régionaux, afin de créer un réseau national de suivi et de renforcer la cohérence des politiques de conservation. L’enjeu ? Passer d’un constat scientifique à une gestion adaptative des écosystèmes, en impliquant tous les acteurs : scientifiques, gestionnaires, élus et citoyens.
Sources de l'article
- Schéma directeur de la surveillance de la biodiversité terrestre (SDSBT), ministère de la Transition écologique, 2024.
- Stratégie nationale pour la biodiversité 2030, gouvernement français, 2024.
- Données du projet Patrimoine Naturel (PATNAT) – Suivi des odonates, LPO Aquitaine, 2012-2015.
- Landes de Gascogne, Wikipedia, 2025.
- Déclin des grues cendrées dans les Landes, France Bleu, 2025.
- Parc naturel régional des Landes de Gascogne, Observatoire de la Biodiversité des Forêts, 2024.
- Ressources et méthodes de suivi, LPO Occitani.
- Retour du Courlis cendré sur les zones incendiées, GoodPlanet, 2024.