En 1954, lors de fouilles dans un ancien sanctuaire grec de Paestum, au sud de Naples, des archéologues tombent sur plusieurs récipients en bronze soigneusement rangés dans une crypte souterraine. À l’intérieur : une substance épaisse et collante, brune, au parfum de cire.
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Le laboratoire d’Oxford résout un mystère vieux de 2500 ans dans un pot grec
La découverte intrigue. À première vue, on pense à du miel. Une hypothèse logique : dans la Grèce antique, offrir du miel aux dieux était une pratique courante. Mais les analyses réalisées au fil des décennies, à trois reprises, échouent à confirmer cette intuition.
Les chercheurs parlent alors d’un mélange de matières grasses d’origine végétale ou animale, enrichi de pollen et d’insectes. L’affaire s’enlise. Le pot collant devient un mystère archéologique.
L’entrée du laboratoire d’Oxford
L’histoire rebondit lorsqu’un exemplaire de ces pots est transféré à l’Ashmolean Museum d’Oxford. C’est là que Luciana da Costa Carvalho et James McCullagh, deux spécialistes de la chimie des résidus organiques, décident de relancer l’enquête.
Fini les outils des années 60. Leur approche repose sur des techniques de spectrométrie de masse de haute précision. Ils ne se contentent pas d’identifier les composants : ils décryptent la structure moléculaire de la substance, tout en la comparant à des échantillons récents de miel et de cire d’abeille, chauffés ou non, originaires de Grèce et d’Italie.
Et cette fois, le diagnostic tombe sans ambiguïté : c’est bien du miel.
Un miel qui a survécu au temps
Le pot contenait du miel de plus de 2 500 ans. Oui, du vrai miel, produit par les abeilles de l’époque classique. Conservé dans du bronze, dans l’obscurité d’un sanctuaire oublié, il a traversé les siècles en silence.
Seulement, le miel d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier.
En temps normal, le miel contient principalement des sucres simples appelés hexoses, un peu d’eau, des protéines et des traces minérales. Mais il évolue. Il s’acidifie, noircit, les sucres se transforment. Ici, l’acidité avait augmenté, les protéines étaient dégradées, et une réaction chimique entre les sucres et le cuivre du récipient avait altéré la composition.
Ce mélange complexe, à la frontière entre résidu et relique, a fini par livrer ses secrets.
Une signature d’abeille indiscutable
La présence de protéines typiques de la gelée royale n’a laissé aucun doute. Ces protéines, sécrétées par l’abeille occidentale (Apis mellifera), ne sont pas présentes dans la cire. Elles ne proviennent que d’une source : le miel brut, dans son état d’origine.
Autre indice décisif : la forte concentration en hexoses, supérieure à celle que l’on trouve dans la cire d’abeille, indique un produit sucré à la base, même si son goût actuel n’a pas été testé (et ne le sera probablement jamais).
La matière prélevée au fond du pot, autrefois fluide et sucrée, est aujourd’hui une pâte brunâtre légèrement cristallisée, altérée mais reconnaissable.
Le miel, plus qu’un aliment
Dans la culture grecque ancienne, le miel occupe une place bien particulière. Offert aux divinités, utilisé pour embaumer les morts, appliqué comme cicatrisant, il avait une valeur symbolique, médicinale et religieuse.
Conserver du miel dans un sanctuaire n’était donc pas un geste anodin. C’était une offrande de vie, une substance pure, un lien entre les hommes et les dieux. Que ce pot ait été déposé dans une crypte souterraine suggère un rituel d’une grande importance, peut-être funéraire ou destiné à invoquer une protection divine.
Ce n’est pas un hasard si les Grecs surnommaient le miel « la rosée du ciel ».
Une chimie du passé pour les sciences du futur
Étudier un résidu vieux de 2 500 ans ne relève pas uniquement de la curiosité historique. Pour Luciana da Costa Carvalho, ces substances sont des écosystèmes chimiques fossiles. Elles permettent d’observer non seulement leur composition d’origine, mais aussi l’évolution des matières organiques dans le temps.
Autrement dit, ce pot est aussi une capsule temporelle biologique. Il offre des indices sur la dégradation naturelle du sucre, sur la migration de métaux, ou encore sur les possibles interactions entre micro-organismes anciens et molécules complexes.
Cela ouvre même, à long terme, des pistes de recherche sur la conservation des aliments, ou sur la stabilité des produits biologiques dans des environnements hostiles.
Un trésor sucré au musée
Aujourd’hui, le pot de Paestum repose dans une vitrine du musée Ashmolean d’Oxford, à côté d’autres objets cultuels. Il ne paie pas de mine. Un récipient vert-de-gris, un peu bosselé, au fond duquel repose encore un peu de cette pâte brunâtre qui aura fait tourner la tête à plusieurs générations d’archéologues.
Ce qui semblait n’être qu’un reste collant a finalement révélé une pratique rituelle, une technologie de conservation, et une leçon de patience scientifique.
Dans un monde où tout doit aller vite, il aura fallu attendre 70 ans pour confirmer ce que les Grecs savaient déjà : le miel est éternel.
Source :
A Symbol of Immortality: Evidence of Honey in Bronze Jars Found in a Paestum Shrine Dating to 530–510 BCE (en français "Un symbole d’immortalité : des traces de miel découvertes dans des jarres en bronze d’un sanctuaire de Paestum datant de 530–510 av. J.-C.")
Luciana da Costa Carvalho , Elisabete Pires, Kelly Domoney, Gabriel Zuchtriege, lJames S. O. McCullagh.
http://pubs.acs.org/doi/abs/10.1021/jacs.5c04888