En France la pire crainte des baigneurs dans les lacs n'est pas le requin mais une menace beaucoup plus sournoise et invisible : les cyanobactéries

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Cyanobactéries : quand la baignade vire au cauchemar... invisible.

En France la pire crainte des baigneurs dans les lacs n'est pas le requin mais une menace beaucoup plus sournoise et invisible : les cyanobactéries
En France la pire crainte des baigneurs dans les lacs n'est pas le requin mais une menace beaucoup plus sournoise et invisible : les cyanobactéries

Imaginez un être vivant plus vieux que les dinosaures, plus résistant qu’un spore de moisissure, et qui dort tranquille au fond des lacs depuis des milliards d’années. Voilà les cyanobactéries. Rien de spectaculaire à l’œil nu. Pourtant, dès que l’eau se réchauffe un peu trop, elles se réveillent... et transforment nos plages en pièges toxiques.

Il suffit de quelques ingrédients : un plan d’eau peu profond, des nutriments issus des engrais agricoles ou des stations d’épuration, un bon ensoleillement, et une température de plus de 15 °C. En quelques jours, c’est l’explosion. L’eau se colore en vert, des filaments s’amassent à la surface, des mousses se forment… et tout ça sans prévenir.

Alors que les vacanciers s’installent, la nature, elle, lance une opération invisible. Et parfois, cette opération peut se transformer en attaque chimique silencieuse.

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Cyanobactéries, le poison au bout des vaguelettes

Certaines cyanobactéries ne se contentent pas d’être envahissantes. Elles fabriquent des toxines. Le mot peut sembler fort, pourtant il est juste. Ces cyanotoxines, comme on les appelle, peuvent attaquer le foie, les nerfs ou la peau, selon les espèces.

Un enfant qui boit la tasse ? Il peut finir aux urgences avec des vomissements, de la fièvre ou de violentes crampes. Un chien qui saute dans l’eau puis se lèche en sortant ? Il risque l’intoxication, et dans certains cas, la mort en quelques heures. Même sans contact direct, l’eau évaporée ou les embruns peuvent provoquer des irritations oculaires ou des quintes de toux chez les personnes sensibles.

Chaque été, des cas sont rapportés, notamment en Occitanie. Les médecins voient passer des enfants couverts de plaques rouges, des promeneurs fiévreux ou des chiens que l’on n’a pas pu sauver.

Des contrôles rigoureux… mais une course contre la montre

Dans la région Occitanie, l’ARS a décidé de prendre les choses en main. Une fois l’été arrivé, les agents passent régulièrement inspecter les plans d’eau : changement de couleur, odeur suspecte, mousse étrange… Le moindre indice suffit à déclencher des prélèvements, ensuite envoyés en laboratoire.

On utilise alors une norme française bien précise, appelée XP T90-330. Elle permet de mesurer la quantité de cyanobactéries dans l’eau. Si certaines espèces dépassent les seuils d’alerte, la baignade est immédiatement interdite. Pas par prudence excessive, non. Parce que certaines toxines sont actives même à très faibles doses.

À partir de juin 2026, seuls les laboratoires accrédités COFRAC pourront valider les analyses de cyanotoxines. Une façon de garantir la fiabilité des mesures, et d’éviter les interprétations hasardeuses. Car une fermeture de plage, ce n’est pas anodin. Il faut pouvoir l’expliquer clairement aux usagers.

Le cas de Genève : la baignade stoppée net

Le 15 juillet 2025, la plage de la Plaine à Dardagny a été fermée. Pas de panique, pas de sirène, juste une information tombée : taux de Woronichinia sp supérieur à 20 000 cellules par millilitre. Cette espèce, bien que peu toxique, a quand même suffi à faire tomber le rideau. On ne prend aucun risque, surtout avec les enfants.

Puis, quelques jours plus tard, rebelote : les plages du Vengeron et de Pregny-Chambésy ont été interdites à la suite d’une pollution aux eaux usées. Rien de confirmé sur les cyanobactéries cette fois, mais le contexte était propice. Eaux chaudes, nutriments dans l’eau… Le cocktail idéal.

La réouverture, elle, ne s’est pas improvisée. Des prélèvements, des analyses, des contre-analyses. Les baignades n’ont repris que les 22 et 23 juillet. Et aujourd’hui, Genève continue d’envoyer ses techniciens en maillot... avec une éprouvette à la main. Sur certaines plages, les prélèvements sont hebdomadaires.

En Nouvelle-Aquitaine, une vigilance qui monte en température

La Nouvelle-Aquitaine n’est pas en reste. Région aux plans d’eau innombrables, aux rivières tranquilles et aux étés de plus en plus longs, elle coche toutes les cases du terrain favorable aux cyanobactéries. Chaque été, les lacs de baignade du Limousin, les retenues artificielles du Lot-et-Garonne ou les zones humides de Charente-Maritime sont sous surveillance étroite.

L’un des cas les plus médiatisés s’est produit au lac de Vassivière, où la baignade a dû être suspendue plusieurs jours à la suite d’une flambée de microcystines détectée début août 2024. Des analyses ont révélé une concentration supérieure à 10 µg/L, bien au-delà des recommandations sanitaires. Pique-niques annulés, plages désertées, et un impact direct sur le tourisme local.

Face à cette menace récurrente, la région a renforcé son réseau d’analyse. Des partenariats ont été noués entre l’ARS Nouvelle-Aquitaine, les départements et les communes. Objectif : prélever plus tôt, réagir plus vite, informer mieux. Certaines collectivités comme celles autour du lac de Saint-Pardoux ou du lac d’Hourtin ont même investi dans des panneaux lumineux à messages variables pour alerter les usagers en temps réel.

Ce qui change la donne ici, c’est l’expérience. Les maires de petites communes lacustres savent maintenant lire dans l’eau comme dans un manuel de biologie. Une couleur verte un peu trop soutenue, une odeur anormale… et le protocole s’active. Ce n’est plus une surprise, c’est devenu un réflexe.

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Un écosystème qui étouffe en silence

Ce que l’on voit à la surface est une petite partie du problème. Lorsqu’elles meurent, les cyanobactéries coulent et se décomposent. Ce processus consomme l’oxygène de l’eau. Résultat : asphyxie des poissons, disparition des larves, effondrement de la chaîne alimentaire aquatique.

Dans certains étangs ou retenues d’eau, on parle de “zones mortes”. Plus un bruit, plus un remous. L’eau est là, immobile, stérile. Et même quand la cyanobactérie ne produit pas de toxine, sa prolifération déséquilibre l’écosystème.

Côté agriculture, c’est aussi une épine dans le pied. Une eau chargée de microcystines ne peut pas irriguer un champ sans risque. Quant aux piscicultures ou aux cultures de moules, elles doivent faire des pauses coûteuses, le temps que la qualité de l’eau revienne à la normale.

Ce que chacun peut faire à son niveau

Éviter une prolifération commence souvent hors de l’eau. Moins d’engrais, moins de rejets polluants, un meilleur assainissement des eaux usées : autant d’actions qui limitent l’apport en nutriments dans les rivières et les lacs.

Et puis, il y a les bons réflexes. Une eau verte, trouble ou qui mousse ? On évite d’y entrer. Votre chien revient du lac avec de drôles de filaments collés au poil ? Douchez-le tout de suite, et surveillez ses réactions.

Enfin, consultez toujours les bulletins d’alerte. Ce n’est pas réservé aux nageurs professionnels. En quelques clics, vous saurez si votre lac préféré est encore un havre de fraîcheur... ou une étuve toxique.

Quelques chiffres sur les cynobactéries :

Indicateur

Valeur approximative

Température favorisant la prolifération

> 15 °C

Seuil OMS d'alerte pour baignade

20 000 cellules/ml (Woronichinia sp)

Durée de vie des toxines dans l’eau

De plusieurs jours à plusieurs semaines

Coût d’une analyse complète

Entre 400 et 800 euros

Cas d’intoxications en Occitanie (été)

Plusieurs dizaines chez les humains et animaux

Sources :

  • https://www.occitanie.ars.sante.fr/les-cyanobacteries-0
  • https://www.anses.fr/fr/content/les-cyanobacteries-en-questions
  • https://www.ge.ch/plages-lieux-baignade-eaux-vives-geneve/reconnaitre-cyanobacteries-que-faire

Image : Lac de Hourtin et de Carcans