Silence à La Madrague : BB icône des passions et Brigitte Bardot voix infatigable des animaux

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Brigitte Bardot est décédée dimanche 28 décembre 2025 au matin dans sa propriété de La Madrague aux abords de la baie des Canoubiers à Saint-Tropez, 

Statue de Brigitte Bardot réalisée par Milo Manara, à Saint-Tropez, place Blanqui  - Reportage photos  article © VatarDeJ

BB, deux lettres qui résonnent comme un symbole mondial, une icône sulfureuse qui déchaîna les passions pendant plus d'un demi-siècle. Figure insoumise du cinéma français et défenseure radicale de la cause animale, elle laisse derrière elle l'image d'une femme qui n'a jamais baissé les yeux devant personne.

C'est dans cette villa mythique, au bout de ce sentier secret bordé de cannes qui frémissent quand le mistral se lève et qui se termine par le chemin douanier, que BB a rendu son dernier souffle à l'aube du 28 décembre 2025. Bruno Jacqueline, directeur de la communication de la Fondation Brigitte Bardot, a confirmé le décès de celle qui incarna pendant des décennies la liberté absolue, la sensualité assumée et l'engagement sans compromis. Elle avait 91 ans.

Statue de Brigitte Bardot à Saint-Tropez, réalisée par Milo Manara - Reportage photos  article © VatarDeJ

Avec elle disparaît ce que Baptiste Vignol, auteur de " Brigitte Bardot, la dernière icône , qualifie de figure ultime d'une époque où les stars possédaient encore une aura mystérieuse, une distance avec le commun des mortels que l'ère numérique a définitivement abolie. Deux lettres suffisaient pour l'identifier partout dans le monde.

BB était devenue un sigle, une marque, un concept qui dépassait largement la personne elle-même.

Comme JFK ou MM pour Marilyn Monroe, ces initiales résumaient à elles seules un phénomène culturel, une révolution des mentalités, une provocation permanente aux conventions établies. L'icône sulfureuse par excellence, celle qui fit scandale autant qu'elle fascina, qui déchaîna les passions contradictoires avec une régularité implacable.

Née en 1934 à Paris, Brigitte Anne-Marie Bardot grandit dans une famille bourgeoise du 15e arrondissement. Son destin bascule lorsqu'elle apparaît en couverture du magazine Elle à quinze ans. La photographie capte déjà cette singularité qui fera sa marque : un mélange de fragilité juvénile et de sensualité naturelle troublante. Formée à la danse classique au Conservatoire de Paris, elle apporte au grand écran cette gestuelle fluide, cette manière unique de se mouvoir qui transformera chacune de ses apparitions en ballet visuel. Cette formation de danseuse restera l'essence même de sa présence à l'écran, bien au-delà de la simple beauté physique qui fit d'elle un sex-symbol planétaire.

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1956, Et Dieu créa la femme : l'explosion planétaire

Roger Vadim, qu'elle épouse en 1952, devient l'architecte de sa métamorphose scandaleuse. En 1956, il réalise Et Dieu créa la femme, film qui provoque un séisme culturel à l'échelle mondiale. Sur les plages de Saint-Tropez, BB incarne une féminité nouvelle, libérée des carcans moraux de l'après-guerre. Le film scandalise la France conservatrice, indigne les ligues catholiques, mais conquiert l'Amérique avec une force inattendue.

C'est d'abord outre-Atlantique que le phénomène explose. Les salles américaines se remplissent pour découvrir cette jeune Française à moitié nue dansant sur une plage provençale. Les recettes dépassent toutes les prévisions, propulsant l'actrice au rang de star internationale. Le succès américain provoque ensuite un retour de flamme en France, où le film connaît un triomphe commercial inattendu. Le mythe Bardot est lancé, et avec lui, une révolution culturelle qui dépasse largement le cadre du cinéma pour toucher les mœurs, la mode, la jeunesse mondiale.

Cette femme à moitié nue dansant sur une plage provençale provoque un choc visuel dont on mesure mal aujourd'hui la portée. Dans les années 1950, montrer ainsi un corps féminin libéré, sensuel, assumant ouvertement son pouvoir de séduction, constituait une transgression majeure. BB devient instantanément l'incarnation sulfureuse d'une jeunesse en rupture avec les conventions parentales. Elle déchaîne des passions contradictoires : adoration inconditionnelle des uns, rejet violent des autres. Les jeunes hommes l'idolâtrent, les jeunes femmes veulent lui ressembler, les institutions morales la condamnent avec véhémence.

1958, l'installation à La Madrague : naissance d'un mythe géographique

En 1958, deux ans après le triomphe d'Et Dieu créa la femme, BB acquiert la villa de La Madrague, cette propriété située au bout d'un chemin bordé de cannes frémissantes, face à la baie des Canoubiers. Cette acquisition marque le début d'une histoire d'amour fusionnelle entre la star et Saint-Tropez. La villa devient son refuge, son sanctuaire, le lieu où elle peut échapper aux paparazzi et vivre selon ses propres règles.

Saint-Tropez, jusque-là village de pêcheurs assoupi sur la côte varoise, connaît une transformation radicale. Grâce à la popularité phénoménale d'Et Dieu créa la femme aux États-Unis, puis en France, le petit port devient en quelques mois une destination de renommée internationale. Les photographes affluent du monde entier, les touristes aussi. Le village se mue en capitale de la jet-set, attirant artistes, milliardaires et célébrités en quête de cette liberté que BB incarnait.

Ce basculement géographique et culturel doit presque tout à l'image d'une jeune femme dansant pieds nus sur le sable de la baie des Canoubiers. La ville et la star fusionnent dans l'imaginaire collectif, devenant indissociables pour toujours. Saint-Tropez devient la ville de BB, et BB devient l'âme de Saint-Tropez. Les commerçants, les hôteliers, les restaurateurs voient leur activité exploser. La petite commune varoise entre dans la modernité économique portée par l'aura sulfureuse d'une actrice de 24 ans.

Saint-Tropez Exposition place Blanqui 2023 

Le mépris et la reconnaissance artistique

L'actrice enchaîne alors les succès commerciaux et populaires, tournant avec les plus grands réalisateurs français. En 1963, Jean-Luc Godard la dirige dans Le Mépris, aux côtés de Michel Piccoli et Jack Palance. Le film, adaptation libre du roman d'Alberto Moravia, explore la désintégration d'un couple sur fond de création cinématographique. BB y livre une prestation d'une justesse remarquable, révélant une profondeur dramatique que ses rôles précédents ne laissaient pas entrevoir. La séquence d'ouverture, où elle interroge son mari sur chaque partie de son corps, reste gravée dans la mémoire collective du septième art. Godard capte quelque chose d'essentiel chez elle : une vulnérabilité sous la carapace de la sex-symbol, une fragilité sous l'armure de l'icône sulfureuse.

Le réalisateur de la Nouvelle Vague transforme BB en sujet cinématographique, en objet de contemplation artistique qui dépasse le simple statut de star commerciale. Dans les paysages méditerranéens de Capri où se déroule le tournage, l'actrice acquiert une dimension tragique, presque mythologique. Elle devient Pénélope abandonnée, Hélène de Troie moderne, figure antique transposée dans le monde du cinéma contemporain. Cette collaboration avec Godard élève définitivement BB au rang d'icône culturelle, bien au-delà du phénomène de masse qu'elle représentait déjà.

Les années 1960 : de Harley Davidson à Bonnie and Clyde

Parallèlement à sa carrière cinématographique, BB explore l'univers de la chanson dans les années 1960, collaborant avec les plus grands compositeurs français. Elle enregistre des titres qui deviennent instantanément cultes, reflétant l'esprit libre et rebelle qu'elle incarne. Harley Davidson, avec son évocation de la moto et de la liberté américaine, capture parfaitement cette image de femme insoumise qui refuse les conventions.

Comic Strip, chanson pop aux accents yé-yé, témoigne de sa capacité à incarner l'esprit de son époque, cette jeunesse des sixties qui révolutionne les codes culturels. Mais c'est avec Bonnie and Clyde, en duo avec Serge Gainsbourg, qu'elle atteint une forme de perfection dans la chanson. Le titre évoque le couple mythique de hors-la-loi américains, et BB y déploie toute sa sensualité vocale. Ces chansons, loin d'être de simples divertissements, participent à la construction du mythe BB, cette icône sulfureuse qui déchaîne les passions autant par sa voix que par son image.

La relation passionnée avec Serge Gainsbourg donne également naissance à l'un des tubes les plus controversés de l'histoire de la chanson française. Je t'aime moi non plus, enregistré en 1967 dans un studio parisien, provoque l'indignation du Vatican et l'interdiction dans plusieurs pays européens. Les gémissements suggestifs qui ponctuent le morceau franchissent toutes les limites de la décence radiophonique de l'époque, mais la chanson devient un succès planétaire, se vendant à des millions d'exemplaires malgré, ou grâce à, sa sulfureuse réputation. Une fois encore, BB déchaîne les passions contradictoires.

1971, première personnalité à représenter Marianne

En 1971 survient un événement singulier dans l'histoire républicaine française. Le sculpteur Alain Aslan choisit les traits de BB pour modeler le nouveau buste de Marianne, allégorie de la République française. Pour la première fois de l'histoire, une personnalité vivante, et qui plus est sulfureuse, incarne officiellement ce symbole ancestral. BB devient ainsi la première célébrité à prêter son visage à Marianne, ouvrant une tradition qui se perpétuera avec d'autres actrices par la suite.

Les bustes rejoignent les mairies de l'Hexagone, installant définitivement le visage de l'actrice scandaleuse dans le patrimoine institutionnel national. Cette consécration paradoxale suscite des réactions passionnées. Comment la femme d'Et Dieu créa la femme, celle qui scandalisa la France pudibonde, peut-elle représenter la République dans ses édifices officiels ? Cette contradiction apparente témoigne en réalité de l'évolution profonde des mentalités et de l'appropriation populaire de son image. BB est devenue, malgré son caractère sulfureux, un symbole de la France moderne, libérée, assumant sa sensualité. La scandaleuse est devenue icône nationale, transformant la transgression en symbole républicain.

Affiches de BB présentes en ville comme dans tous les lieux publics, brocantes, marché..

Cette reconnaissance institutionnelle intervient alors même que BB a déjà pris ses distances avec le monde du cinéma. En 1973, à seulement 39 ans, elle annonce son retrait définitif du septième art. L'actrice qui a tourné près de cinquante films refuse catégoriquement de vieillir sous les projecteurs. Cette rupture brutale avec le monde qui l'a créée surprend, mais elle reste fidèle à cette résolution jusqu'à sa mort, rejetant toutes les propositions de retour, même les plus généreuses financièrement.

Cette décision fait partie intégrante du mythe BB. L'icône sulfureuse disparaît au moment même où elle pourrait continuer à régner. Elle choisit de rester éternellement jeune dans la mémoire collective, figée dans la pellicule des années 1950 et 1960. Dans ses dernières décennies, elle déclarera régulièrement qu'elle ne se reconnaît plus dans cette femme qu'elle fut. Cette phrase glaciale reviendra souvent : cette femme-là ne m'intéresse pas, je ne la connais plus. Comme si l'actrice des années 1950 et 1960 était devenue une étrangère, une construction médiatique dont elle s'était totalement affranchie.

1986, la rupture totale avec le show-business

Le second acte de sa vie publique s'écrit progressivement sous le signe de la protection animale. Dès les années 1960, BB manifeste une sensibilité particulière envers les bêtes, préférant souvent leur compagnie à celle des humains. En 1976, elle devient officiellement porte-parole de la Société protectrice des animaux, prêtant sa notoriété mondiale à des campagnes spectaculaires contre l'abattage des bébés phoques au Canada ou la corrida en Espagne.

Mais c'est en 1986 que s'opère la rupture définitive et totale avec le monde du show-business. Cette année-là, BB franchit le point de non-retour en créant la Fondation Brigitte Bardot, structure dédiée exclusivement à la défense des droits des animaux. Cette création marque symboliquement la fin de toute relation avec l'univers du spectacle qui l'a faite star. L'ancienne icône sulfureuse tourne définitivement le dos à Hollywood, aux plateaux de cinéma, aux tapis rouges et aux mondanités parisiennes.

Cette rupture de 1986 avec le show-business n'est pas seulement administrative ou symbolique. Elle matérialise une transformation profonde de la personnalité publique de BB.

Sous la direction successive de plusieurs collaborateurs dont Bruno Jacqueline, directeur de la communication qui confirmera son décès près de quarante ans plus tard, la fondation mène des actions concrètes sur le terrain français : refuges pour animaux abandonnés, campagnes contre l'expérimentation animale, lobbying auprès des institutions européennes pour durcir les législations. L'ancienne actrice investit sa fortune personnelle dans ce combat, transformant la villa de La Madrague en sanctuaire pour animaux rescapés.

La star sulfureuse qui déchaînait les passions par sa sensualité devient la militante radicale qui déchaîne les passions par ses convictions. Le transfert est total : l'énergie, la détermination, l'intransigeance qui caractérisaient l'actrice se retrouvent intactes chez la défenseuse des animaux.

Son engagement prend des formes spectaculaires qui divisent l'opinion publique. Elle multiplie les interventions médiatiques cinglantes, les lettres ouvertes aux dirigeants politiques, les coups d'éclat publicitaires. Cette détermination sans compromis lui vaut autant d'admirateurs que de détracteurs virulents. L'icône sulfureuse déchaîne à nouveau les passions, mais cette fois au nom des animaux. Certains saluent son courage face aux lobbies industriels, d'autres dénoncent ses positions tranchées sur d'autres sujets sociétaux qui lui valent plusieurs condamnations judiciaires pour provocation à la haine raciale dans les années 1990 et 2000.

Je n'ai jamais baissé les yeux devant personne

Cette phrase, qu'elle prononce lors d'une interview télévisée dans les années 2000, résume toute la philosophie de vie de BB. Une intransigeance totale, un refus absolu du compromis, une franchise brutale qui heurtait autant qu'elle fascinait. Elle l'assumait pleinement, revendiquant une liberté de ton qui appartenait à une autre époque, celle où les stars pouvaient encore dire tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas.

Baptiste Vignol, dans son ouvrage Brigitte Bardot, la dernière icône, analyse cette dimension de personnalité publique qui refusait le politiquement correct avant même que l'expression n'existe. Selon lui, BB représente la fin d'une lignée de stars construites sur le mystère, la distance, l'inaccessibilité. L'ère des réseaux sociaux, de la transparence forcée, de l'image contrôlée par les attachés de presse a rendu impossible l'émergence de telles figures sulfureuses. Elle fut la dernière à pouvoir dire non aux studios, aux producteurs, aux conventions, et à s'en sortir victorieuse.

Les deux lettres BB incarnaient cette liberté absolue, ce refus de plier devant quiconque. L'icône sulfureuse déchaînait les passions précisément parce qu'elle ne cherchait jamais à plaire à tous. Elle divisait, provoquait, scandalisait, fascinait, mais ne laissait jamais indifférent. Cette capacité à susciter des réactions aussi violentes et contradictoires constituait l'essence même de son pouvoir médiatique et symbolique.

Un visage, une allure, une danseuse

Au-delà de l'icône sulfureuse ou de la militante controversée, BB resta fondamentalement une danseuse. Sa formation initiale au Conservatoire de Paris imprégna toute sa gestuelle cinématographique, conférant à ses mouvements une grâce particulière qui transcendait le simple jeu d'actrice. Les réalisateurs exploitèrent systématiquement cette qualité, multipliant les scènes où elle dansait, courait sur les plages, se mouvait avec cette légèreté qui semblait défier les lois de la pesanteur. Son corps parlait un langage que les dialogues ne pouvaient exprimer.

Cette dimension corporelle explique en grande partie la puissance magnétique de son image à l'écran. Elle ne jouait pas seulement des rôles, elle habitait l'espace avec une présence physique qui hypnotisait la caméra. Dans Le Mépris comme dans Et Dieu créa la femme, c'est d'abord un corps en mouvement perpétuel que l'objectif capture, un ballet intime entre une danseuse devenue actrice et la pellicule qui l'immortalise. Cette poésie gestuelle constitue probablement l'héritage le plus sous-estimé de son passage dans le cinéma français.

Un visage, une allure, une danseuse : ces trois éléments fusionnaient pour créer le phénomène BB. Le visage aux traits réguliers encadré par la chevelure blonde décoiffée, l'allure féline et naturelle qui défiait les canons de beauté sophistiqués de l'époque, la danseuse formée au classique qui apportait au cinéma populaire une dimension chorégraphique inattendue. Ces trois dimensions créaient l'icône sulfureuse qui déchaîna les passions pendant des décennies.

 brigitte bardot bb saint tropez credit vatardejStatue de Brigitte Bardot réalisée par Milo Manara - Reportage photos  article © VatarDeJ

La foi absolue de ses convictions

BB n'a jamais cultivé la nuance diplomatique ni le compromis confortable. Elle avait la foi de ses convictions, une expression qui résume parfaitement son rapport au monde. Cette intransigeance totale, qui fut sa force médiatique pendant des décennies, devint aussi source de polémiques récurrentes dans une société évoluant vers plus de sensibilité aux questions identitaires. Elle assumait pleinement ses contradictions, revendiquant une liberté de ton qui heurtait frontalement les sensibilités contemporaines.

Pourtant, cette même intransigeance forçait le respect absolu lorsqu'elle défendait les animaux face aux industries agricoles ou pharmaceutiques. Elle refusait catégoriquement les demi-mesures, les arrangements politiques, les solutions de facilité qui permettent aux responsables politiques de ne fâcher personne. Son combat acharné contre la fourrure, contre les conditions d'abattage dans les abattoirs industriels, contre l'abandon massif des animaux de compagnie imposa progressivement des évolutions législatives concrètes.

BB croyait avec une intensité religieuse en ses combats, qu'il s'agisse de défendre les animaux ou d'exprimer ses opinions sur la société. Cette foi inébranlable la rendait insensible aux critiques, imperméable aux pressions, indifférente aux condamnations. L'icône sulfureuse qui déchaîna les passions dans sa jeunesse continuait, vieillissante, à déchaîner des passions tout aussi violentes pour des causes radicalement différentes.

La Madrague, refuge et sanctuaire depuis 1958

Retirée à La Madrague depuis son acquisition en 1958, elle vécut dans cette propriété pendant plus de soixante ans, cultivant au fil des décennies une forme d'ermitage méditerranéen de plus en plus radical. Le chemin bordé de cannes frémissantes que le mistral de terre balayait régulièrement menait à son sanctuaire, un territoire fermé au monde extérieur où elle vivait entourée de ses chiens et chats rescapés de la maltraitance.

La villa surplombant la baie des Canoubiers était devenue bien plus qu'une simple résidence. C'était le symbole architectural de son histoire personnelle, le témoin silencieux de toutes ses métamorphoses. Achetée en 1958 au moment où elle incarnait la sensualité libérée, La Madrague l'avait vue traverser les décennies, abandonner le cinéma en 1973, rompre totalement avec le show-business en 1986, vieillir loin des caméras, combattre pour les animaux avec une énergie inaltérable.

Les rares images d'elle diffusées ces dernières années montraient une femme vieillie naturellement, sans concession aucune aux diktats de la jeunesse éternelle qui règnent sur le monde du spectacle contemporain. Elle incarnait ainsi jusqu'au bout cette authenticité brutale qui fit sa singularité et sa force. La Madrague était devenue l'incarnation architecturale de son refus du monde moderne, de sa rupture avec l'image de star, de sa reconversion totale vers la défense animale.

C'est dans ce lieu mythique, entre les cannes qui frémissent sous le mistral et la mer Méditerranée qui s'étend face aux fenêtres, que BB s'est éteinte ce dimanche matin du 28 décembre 2025. Le vent de terre balayait la baie des Canoubiers comme il l'avait fait des milliers de fois depuis 1958, depuis cette installation qui marqua le début de la fusion entre une femme et un lieu, entre une star et une ville, entre une icône et un paysage méditerranéen.

Brigitte Bardot BB Saint Tropez credit VatarDeJInauguration le 28 septembre 2017 - Statue de Brigitte Bardot réalisée par Milo Manara - Reportage photos  article © VatarDeJ

BB, deux lettres pour l'éternité

Avec la disparition de BB s'achève définitivement un chapitre du cinéma français et de la culture populaire du vingtième siècle. Elle incarnait physiquement cette période charnière entre la France gaulliste conservatrice et la libération progressive des mœurs, entre le classicisme cinématographique des années 1950 et la Nouvelle Vague qui bouleversa les codes narratifs, entre la star hollywoodienne inaccessible et l'icône moderne façonnée et dévorée par les médias de masse naissants.

Saint-Tropez perd sa muse fondatrice, celle qui transforma irrémédiablement son destin économique et symbolique. Sans le triomphe d'Et Dieu créa la femme en 1956 aux États-Unis puis en France, sans l'installation de BB à La Madrague en 1958, la petite commune varoise serait probablement restée un village de pêcheurs pittoresque parmi d'autres. La transformation de Saint-Tropez en capitale mondiale de la jet-set doit tout au phénomène Bardot, à cette alchimie entre une actrice sulfureuse et un lieu méditerranéen qui devint son sanctuaire.

Brigitte Bardot BB Saint Tropez credit VatarDeJ IMG IMG 20210719 205148Coucher de soleil sur le Massif des Maures depuis la baie des Canoubiers  - photo  © VatarDeJ

La fondation qui porte son nom poursuivra son action de terrain, perpétuant ce combat pour les animaux qui occupa la moitié de son existence terrestre depuis la rupture totale avec le show-business en 1986. Les refuges continueront d'accueillir les bêtes abandonnées, les campagnes de sensibilisation se poursuivront, le lobbying auprès des institutions européennes gardera la même intensité. L'héritage de BB vivra à travers cette structure qu'elle créa pour matérialiser sa reconversion radicale.

Les images cinématographiques restent, intactes, figées dans la pellicule argentique. Une jeune femme blonde courant pieds nus sur une plage méditerranéenne en 1956, dansant dans un club enfumé de Saint-Tropez, défiant la caméra de ce regard direct qui fit chavirer des millions de spectateurs. Le mythe BB survivra à Brigitte Bardot, comme survivent inexorablement toutes les légendes qui surent capturer l'essence fugace d'une époque. Elle demeure cette femme que Dieu créa un matin de septembre 1934, et que le cinéma rendit immortelle vingt-deux ans plus tard sur les plages ensoleillées d'un village provençal qui ne s'en est jamais remis.

Baptiste Vignol conclut son ouvrage par cette réflexion : Bardot fut la dernière icône parce qu'elle incarnait encore cette distance sacrée entre la star et son public. Après elle, tout devint accessible, commenté, déconstruit. Le mystère mourut avec son retrait du cinéma en 1973. Il ne restait plus qu'une femme intransigeante, fidèle à ses convictions jusqu'au bout, refusant de baisser les yeux devant quiconque, fût-ce la postérité elle-même.

Deux lettres suffisent désormais pour l'éternité. BB restera dans la mémoire collective cette icône sulfureuse qui déchaîna les passions, provoqua les scandales, révolutionna les mœurs et ne plia jamais devant personne. Un visage, une allure, une danseuse. Une femme qui eut la foi de ses convictions jusqu'au dernier souffle, ce dimanche matin du 28 décembre 2025, dans sa villa de La Madrague acquise en 1958, face à la baie des Canoubiers que le mistral de terre balayait de ses rafales frémissantes.

Brigitte Bardot BB Saint Tropez credit VatarDeJ IMG IMG 20210717 211955Nuages soleil couchant sur le Massif des Maures depuis la baie des Canoubiers  - photo  © VatarDeJ

FAVICOSources de l'article

  • Baptiste Vignol : Brigitte Bardot, la dernière icône
  • Fondation Brigitte Bardot 
  • Archives cinématographiques : Et Dieu créa la femme, Roger Vadim, 1956, Le Mépris, Jean-Luc Godard, 1963
  • Reportage photos  article © VatarDeJ