Lorsque septembre humidifie les sous-bois, un monde parallèle s’éveille au ras du sol. Invisible aux touristes pressés, il est pourtant guetté avec ferveur par des milliers de locaux. Dans les forêts de Dordogne, du Limousin ou du Médoc, les paniers surgissent comme par magie. Il suffit de quelques pluies bien placées, une nuit douce, et hop : les cèpes percent la mousse.
La Nouvelle-Aquitaine est la plus grande région forestière de France, avec 2,8 millions d’hectares de forêts, soit 34 % de son territoire, elle devance largement l’Auvergne–Rhône-Alpes (2,5 Mha) et l’Occitanie (2,3 Mha). Ce terrain de jeu exceptionnel comprend forêts mixtes, vastes massifs de pins maritimes, clairières calcaires, humus acide des Pyrénées ou des contreforts du Périgord. Ici, le champignon n’est pas un accident, c’est un rituel.
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La Nouvelle-Aquitaine est une des régions de France les plus propices à la cueillette aux champignons
Commençons par le seigneur des lieux : le cèpe de Bordeaux (Boletus edulis). Chair ferme, odeur de noisette, saveur umami, il s’impose de juin à novembre, avec un pic glorieux dès la mi-septembre. Il en existe des cousins : le cèpe bronzé, plus trapu et sombre, le cèpe des pins, adepte des aiguilles rousses, ou le cèpe d’été, qui pointe son nez dès les premières chaleurs.
À ses côtés, la girolle, jaune vif, pousse en petits bouquets dans les feuillus humides. La chanterelle en tube, plus fine, joue les prolongations jusqu’en décembre. Plus loin dans la forêt, on croise la coulemelle, immense chapeau posé sur une tige tigrée, ou le rosé des prés, bon enfant des lisières.
Quelques noms chantent comme des poèmes anciens : pied-de-mouton, trompette de la mort, lactaire sanguin, vesses-de-loup, pleurote en huître, et même l’amanite des Césars, d’un orange royal, rare et précieuse. On pourrait croire à un menu impérial.
Attention à la fausse girolle ou Hygrophoropsis aurantiaca !
Une chasse sensorielle… qui peut tourner au vinaigre
Ce serait idyllique si tout était comestible. Sauf que non. Pour une girolle, il existe une fausse girolle. Pour un rosé des prés, une agaric jaunissant. Les confusions les plus graves impliquent l’amanite phalloïde, responsable chaque année de décès évitables. L’ingestion d’un champignon toxique peut provoquer des troubles digestifs, neurologiques, voire hépatiques sévères.
En Nouvelle-Aquitaine, plus de 50 cas d’intoxications sont enregistrés chaque automne, selon l’ARS et le Centre antipoison de Bordeaux. Certaines années, près de 30 % des appels aux urgences toxicologiques en septembre et octobre concernent des champignons.
Il est donc impératif de faire vérifier sa cueillette par un pharmacien ou une société mycologique locale. Les antennes de Limoges, Bordeaux, Périgueux ou Pau organisent régulièrement des sorties guidées et des ateliers de reconnaissance.
Et pour ceux qui hésitent encore : une photo ne suffit pas. Ce n’est pas Instagram qui sauvera votre foie.
Dans l’assiette, des trésors qui font grimper les enchères
Dès l’aube, les restaurateurs du coin visitent les marchés ou passent des coups de fil aux cueilleurs. Le cèpe se vend parfois entre 25 et 40 euros le kilo en début de saison. En 2022, le record a même atteint 48 euros au marché de Brive-la-Gaillarde, après un été sec et une pluie providentielle en septembre.
La filière champignon comestible (cueillette, vente, restauration) pèserait environ 100 millions d’euros par an en France, selon FranceAgriMer. Et la Nouvelle-Aquitaine figure en tête des régions productrices, avec l’Occitanie et l’Auvergne-Rhône-Alpes.
Les chefs s’en donnent à cœur joie : omelettes mousseuses aux cèpes, risottos crémeux aux chanterelles, pickles de lactaires, veloutés de pieds-de-mouton… Une gastronomie forestière, sauvage et locale. À Bordeaux, Mont-de-Marsan ou Brive, les champignons s’invitent au menu des bistrots comme des étoilés.
Cueillir, oui, piller, non
Dans de nombreuses communes, la cueillette est encadrée par arrêté. Limites de quantité (souvent 2 à 5 kilos par jour et par personne), respect des propriétés privées, interdiction de labourer le sol à la serfouette. La forêt est un écosystème, pas un libre-service. Un coup de bâton sur le mycélium peut tuer une station entière pour les années à venir.
En Dordogne, la Fédération des chasseurs a recensé plus de 120 arrêtés municipaux actifs sur la cueillette, preuve que l’encadrement est devenu la norme. Et pour cause : un site surexploité peut mettre 3 à 5 ans à retrouver son équilibre naturel.
Certains départements vont plus loin. Dans les Landes, des panneaux rappellent la réglementation dès l’entrée des sentiers. Dans la Vienne, la gendarmerie effectue parfois des contrôles en période de forte affluence. Et oui, il est possible de repartir avec une amende de 135 euros si vous êtes trop gourmand.
Sous la mousse, une tradition vivante
Le tour des champignons, c’est aussi un moment partagé. On y vient avec un aïeul, un enfant, un voisin. On se transmet les coins secrets en chuchotant. On s’initie à la patience. On apprend à marcher lentement, à observer, à écouter le sol. C’est une école de l’attention.
On estime à près de 3 millions le nombre de cueilleurs amateurs en France, et la majorité se concentre dans les régions forestières du Sud-Ouest. Dans certains cantons du Périgord ou du Béarn, jusqu’à 1 habitant sur 5 cueille des champignons chaque année.
La Nouvelle-Aquitaine, par son étendue, sa diversité d’altitudes et de climats, offre une mosaïque de niches écologiques. De l’Agenais au Pays basque, en passant par la Haute-Vienne ou la Charente, la saison mycologique devient un fil conducteur entre nature, culture et gastronomie.
Espèces comestibles emblématiques de Nouvelle-Aquitaine :
Nom commun | Nom scientifique | Habitat | Période | Comestibilité |
---|---|---|---|---|
Cèpe de Bordeaux | Boletus edulis | Feuillus et conifères | Juin à novembre | Excellente |
Girolle | Cantharellus cibarius | Sols acides humides | Juillet à octobre | Très bonne |
Chanterelle en tube | Craterellus tubaeformis | Sous bois humides | Septembre à décembre | Bonne |
Coulemelle | Macrolepiota procera | Clairières, lisières | Fin septembre à novembre | Bonne |
Amanite des Césars | Amanita caesarea | Forêts méditerranéennes | Août à octobre | Exceptionnelle |
Sources :
- https://www.proprietesforestieres.com/blog-detail/portrait-foret-nouvelle-aquitaine/r/recIi1cyVJ86yaVRh
- https://draaf.nouvelle-aquitaine.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/07-La_filiere_bois-Correctif_cle8c344d.pdf
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_champignons_comestibles
Attention ! La rédaction insiste sur ce point mais la cueillette aux champignons est un art et une science qui nécessite des connaissances solides. Nous invitons le lecteur à se rapprocher du pharmacien le plus proche en cas de doute.
Image mise en avant : Boletus edulis ou Cèpe de Bordeaux.