Au pied des Pyrénées, il suffit d’observer un mur de pierre sèche pour comprendre que cette technique, transmise de génération en génération, parle encore au présent. Ce savoir-faire inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO est revenu sur le devant de la scène lors des Journées de la Pierre Sèche, accueillies en Andorre du 14 au 16 novembre 2025. Pendant trois jours, chercheurs, architectes, ingénieurs et artisans ont exploré les multiples façons dont cette méthode ancestrale peut participer au développement économique, à l’emploi local et à la modernisation des paysages pyrénéens.
L’événement s’inscrit dans une dynamique transfrontalière portée par le projet Interreg POCTEFA Petra, structure qui fédère les acteurs français, andorrans et espagnols autour d’un même objectif : valoriser un patrimoine commun tout en imaginant des usages contemporains. L’atmosphère de ces journées reflète bien l’enjeu : réconcilier traditions et innovation, défendre une identité pyrénéenne tout en projetant ce savoir-faire dans les métiers de demain. Sur place, les témoignages convergent. La pierre sèche n’est pas une nostalgie ; elle devient un outil concret pour former, employer, restaurer et adapter les territoires de montagne aux défis climatiques et paysagers.
Au Centre de congrès d’Andorre-la-Vieille, l’ouverture des rencontres a marqué un moment fort. Idoia Arauzo, coordinatrice de la Communauté de Travail des Pyrénées, a rappelé devant les 150 participants que la pierre sèche « constitue un signe d’identité autant qu’une solution pour créer de la modernité et du développement ». À travers conférences, ateliers pratiques et visites de terrain, ce rassemblement a tissé un lien étroit entre science, tradition et action locale. Les experts présents ont souligné que cette méthode, fondée sur l’assemblage de pierres sans mortier, reste l’une des plus durables pour stabiliser les sols, préserver l’eau, protéger la biodiversité et prévenir les risques de glissements.
En filigrane, une conviction partagée a émergé : dans les Pyrénées, la pierre sèche représente plus qu’un héritage. Elle trace une voie solide vers un modèle économique circulaire, ancré dans le territoire, respectueux de l’environnement et porteur d’emplois qualifiés. Le patrimoine devient ainsi une ressource active, capable de dynamiser les vallées et d’attirer de nouvelles compétences.

Une technique ancienne portée par un nouvel élan
La pierre sèche repose sur un principe simple : bâtir à partir de pierres brutes, soigneusement ajustées, sans liant. Cette méthode, maîtrisée depuis des siècles, a façonné les paysages pyrénéens et méditerranéens. Terrasses agricoles, cabanes de berger, soutènements : partout, ces ouvrages témoignent d’un équilibre entre ingéniosité humaine et contraintes naturelles. Leur durabilité en fait aujourd’hui une réponse pertinente aux défis environnementaux.
La ministre andorrane Mònica Bonell a souligné les efforts entrepris pour inventorier, restaurer et transmettre ce patrimoine, rappelant que « l’avenir de la pierre sèche dépend de la formation et des jeunes générations ».
En Andorre, cette politique se traduit par des actions concrètes : inventaires nationaux, programmes de restauration, ateliers de formation, et intégration de la pierre sèche dans les politiques de gestion du paysage. L’inscription de cet art au patrimoine immatériel de l’UNESCO en 2018 — rejointe par l’Andorre en 2024 — renforce la volonté de valoriser ces savoir-faire traditionnels.
Un levier économique prometteur pour les Pyrénées
Des besoins croissants en main-d’œuvre qualifiée
L’un des constats récurrents des journées d’Andorre porte sur la demande grandissante en artisans maîtrisant la pierre sèche. Qu’il s’agisse de consolidation de chemins de randonnée, de stabilisation de terrains, ou de projets architecturaux contemporains, les collectivités recherchent des professionnels capables d’intervenir avec précision et méthode. Cette compétence devient un atout de taille pour l’emploi local en zone de montagne.
Un moteur pour les filières du paysage et du tourisme
La pierre sèche ne se limite pas à la construction. Elle renforce l’attractivité touristique des territoires, notamment grâce à la restauration de cabanes, de terrasses agricoles ou de murs historiques. Ces paysages restaurés participent à l’identité visuelle des vallées pyrénéennes et soutiennent des activités économiques complémentaires : randonnée, agro-pastoralisme, valorisation patrimoniale.
Un rôle stratégique face aux enjeux climatiques
Les territoires de montagne sont de plus en plus exposés à l’érosion, aux ruissellements violents et aux coulées de boue. Or, la pierre sèche constitue une réponse naturelle particulièrement résiliente. Sa capacité à drainer l’eau, à retenir les sols et à accompagner la forme du paysage en fait une méthode pertinente dans les politiques d’adaptation climatique. Cette utilité fonctionnelle, largement démontrée, renforce sa place dans les projets territoriaux soutenus par l’Union européenne.
La coopération transfrontalière comme moteur d’innovation
Le projet Petra, soutenu à 65 % par l’Union européenne via le programme Interreg POCTEFA 2021–2027, fédère des partenaires français, espagnols et andorrans. Il encourage la recherche, la formation et la diffusion des bonnes pratiques autour de la pierre sèche. Le travail de l’Association pour la Pierre Sèche et l’Architecture Traditionnelle, qui regroupe 53 entités, illustre bien cet effort de long terme, notamment à travers ses expositions itinérantes et ses inventaires collaboratifs comme Wikipedra, qui a permis de recenser plus de 32 000 cabanes.
Cette coopération dépasse largement le cadre patrimonial. Elle stimule une dynamique économique qui repose sur la formation, la recherche appliquée, la transmission de savoir-faire et l’impulsion d’entreprises spécialisées. Pour les Pyrénées, cette convergence de compétences renforce la capacité d’innovation dans des domaines souvent perçus comme traditionnels.

Des perspectives tournées vers la formation et la reconnaissance professionnelle
Plusieurs intervenants ont insisté sur l’importance de structurer une formation officielle et reconnue dans tous les territoires du massif. Le projet Petra appelle à harmoniser les cursus entre France, Espagne et Andorre afin de professionnaliser durablement la filière. L’objectif est clair : permettre aux jeunes de se former, d’obtenir une qualification transfrontalière et d’accéder à des emplois répondant aux besoins réels des collectivités.
La multiplication d’ateliers, démonstrations et chantiers-écoles, à l’image de ceux organisés en Andorre, marque une étape décisive. Les savoir-faire ne se transmettent pas uniquement par les livres ; ils passent par le geste, l’observation, l’expérience concrète du terrain. Les Pyrénées disposent aujourd’hui d’un terrain propice pour développer ces compétences et les inscrire dans une trajectoire professionnelle viable.
Un horizon solide pour un patrimoine vivant
À mesure que les échanges avançaient, une évidence s’imposait aux participants des Journées de la Pierre Sèche : il existe une continuité entre le passé et l’avenir. Les constructions de pierre qui ponctuent les chemins pyrénéens ne racontent pas seulement l’histoire de communautés rurales habiles et patientes. Elles esquissent une voie durable pour revitaliser les vallées, attirer des jeunes artisans, soutenir des projets innovants et réinventer la relation entre habitants et paysages.
Dans les Pyrénées, la pierre sèche n’est plus un simple vestige. Elle devient une ressource stratégique, un outil d’adaptation, un moteur de formation et un marqueur identitaire partagé. Entre héritage et modernité, elle façonne un horizon où l’économie locale et la mémoire collective avancent de concert.
Sources de l’article
- CTP – Journées de la pierre sèche en Andorre 14 novembre 2025
- POCTEFA – Présentation du projet Petra
- UNESCO – Patrimoine culturel immatériel (pierre sèche)



