Les scientifiques français redoutent l'arrivée de cette espèce dans notre pays qui pourrait s'avérer encore "pire" que le frelon asiatique pour les apiculteurs

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L’arrivée des abeilles naines rouges : un signal d’alerte bourdonnant sur le continent européen.

Les scientifiques français redoutent l'arrivée de cette espèce dans notre pays qui pourrait s'avérer encore "pire" que le frelon asiatique pour les apiculteurs
Les scientifiques français redoutent l'arrivée de cette espèce dans notre pays qui pourrait s'avérer encore "pire" que le frelon asiatique pour les apiculteurs

Sous le ciel azuré de Malte, un incident qui pourrait paraître mineur a déclenché l'inquiétude d’un monde scientifique déjà en tension. Une colonie d’abeilles naines rouges, Apis florea, a été découverte en août 2024. Ce n’était pas un événement anodin puisque c’était une première pour l’Europe, et peut-être le début d’une nouvelle "invasion" à l'instar de son lointain cousin le frelon asiatique qui provoque tant de remous en Europe depuis son arrivée.

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Apis florea, une passagère clandestine au pedigree asiatique

L'abeille naine rouge est minuscule, légère comme une graine, mais son impact potentiel est tout sauf négligeable. Originaire d’Asie du Sud, elle mesure à peine 3,2 millimètres de long. Son territoire naturel s’étend depuis les rivages arides de la mer d’Oman jusqu’aux forêts tropicales d’Indonésie, en passant par l’Inde, le Sri Lanka et la péninsule indochinoise. On ne la trouve jamais en altitude : elle préfère les plaines, les zones côtières, les vergers, là où les températures restent douces toute l’année, rarement au-dessus de 500 mètres.

Sa structure de nid est aussi singulière que son comportement. Elle construit un seul rayon de cire, suspendu à une branche, parfois même sur des câbles ou des balcons en ville. Contrairement aux abeilles domestiques qui bâtissent des colonies denses et complexes, Apis florea opte pour la sobriété. C’est au sommet de ce rayon unique que s’effectuent les fameuses danses de communication, servant à transmettre les bonnes adresses florales du voisinage.

À Malte, ce sont 2 000 individus adultes qui ont été trouvés dans un nid près du port de Birżebbuġa. Un test ADN a rapidement confirmé l’espèce. Le nid a été détruit, mais les chercheurs redoutent qu’il n’ait été qu’un point de départ, et que certaines ouvrières aient déjà essaimé à proximité.

12478 abeilles rouges 1Apis florea, l'Abeille naine, est une espèce d'abeilles d'Asie de petite taille (environ un tiers de la taille de l'Abeille mellifère).

Des navires aux butineuses : l’autoroute du commerce mondial

Un scénario semble désormais se dégager. Une cargaison en provenance du Moyen-Orient, un conteneur à peine entrouvert, et l’insecte le plus mobile de la planète prend le large. Comme le souligne Juliana Rangel, professeure à Texas A&M, ces corridors maritimes constituent la voie express d’introduction des espèces exotiques (c'était déjà le cas pour le frelon asiatique). L’absence de contrôles biologiques stricts dans les ports méditerranéens permet à ces insectes de débarquer sans formalité douanière, ni opposition écologique.

Une fois installée, Apis florea sait se faire une place. Elle entre rapidement en concurrence avec les pollinisateurs locaux : abeilles noires (Apis mellifera mellifera), bourdons, osmies... Le problème, c’est qu’elle ne joue pas à armes égales. Plus rapide, plus agile, plus résistante, elle capte pollen et nectar dans les mêmes fleurs, laissant les autres espèces sur leur faim.

Un virus de plus dans la ruche

Outre la compétition directe, ces abeilles peuvent transporter dans leur sillage des virus, des bactéries, ou des champignons pathogènes que les abeilles européennes n’ont jamais rencontrés. Des colonies entières peuvent être décimées sans que l’on comprenne, au début, ce qui a cloché.

Le professeur Dave Goulson, expert britannique en pollinisateurs, alerte depuis des années sur la vulnérabilité de nos abeilles domestiques. Le syndrome d’effondrement des colonies n’est pas qu’un problème de pesticides ou de climat. C’est aussi un effet domino provoqué par l’arrivée de nouveaux compétiteurs invisibles, souvent trop petits pour être remarqués avant qu’il ne soit trop tard.

La douceur du climat méditerranéen comme tremplin

Le réchauffement climatique fait le reste. Malte connaît des hivers de plus en plus doux. Des températures qui ne tuent plus ces abeilles venues d’ailleurs. Ce que nous appelions “micro-invasion” il y a dix ans devient une colonisation lente et silencieuse. Et cette dynamique ne s’arrête pas à Malte. L’Italie du Sud, la Corse, la Provence ou même la Nouvelle-Aquitaine partagent un climat de plus en plus proche de celui du Maghreb ou du Proche-Orient.

Dans cette logique, le Sud-Ouest français pourrait bientôt devenir un terrain d’accueil pour ces nouvelles butineuses, si leur progression n’est pas rapidement endiguée.

Des conséquences directes pour la France

En Nouvelle-Aquitaine, les apiculteurs suivent cette affaire de très près. Déjà confrontés comme on l'a vu à des prédateurs comme le frelon asiatique (Vespa velutina), à la perte de biodiversité florale, et à l’utilisation d’intrants agricoles, l’arrivée d’un nouveau compétiteur venu d’Asie complique encore leur quotidien. La filière apicole française, qui génère chaque année environ 70 millions d’euros de chiffre d'affaires, ne peut pas se permettre une perte de production liée à une telle invasion.

Il suffirait d’un seul port mal surveillé, d’un conteneur oublié sur un quai à Bordeaux ou Bayonne, pour que l’histoire se répète. À la différence du raton laveur ou du moustique tigre, cette abeille ne pique que rarement. Elle n'est pas impressionnante. Elle est efficace.

Une surveillance à l’échelle des ports européens

Face à cette menace, les biologistes appellent à un renforcement immédiat des dispositifs de détection dans les ports d’entrée, notamment sur les îles de Méditerranée. Caméras thermiques, pièges sélectifs, relevés ADN sur les rayons suspects : il ne s’agit plus de surveiller des flux commerciaux, mais bien des passagers discrets qui peuvent changer un écosystème à jamais.

À plus long terme, la seule stratégie durable reste la sensibilisation. Comprendre que derrière une abeille rouge de 3 millimètres, il y a des milliers d’heures de butinage volées à nos espèces locales, des plantes mal pollinisées, des ruches affaiblies, et tout un tissu vivant qui se dérègle.

Le ballet des insectes dans nos campagnes n’est pas qu’un décor sonore. C’est une mécanique fragile et ancestrale, tissée à force d’adaptations, d’odeurs, de couleurs et de vibrations. Quand un maillon saute, c’est toute la partition qui s’emballe.

Et pendant ce temps, au sud de l’Europe, une colonie microscopique attend le bon courant d’air pour s’envoler, à la conquête de son prochain territoire.

Quelques exemples d'espèces exotiques envahissantes en Europe

EspèceOrigineType d’impactMode d’introductionRégions concernées
Abeille naine rouge (Apis florea) Asie du Sud Concurrence avec abeilles locales, transmission de pathogènes Conteneurs maritimes, trafic commercial Malte (présence avérée), Sud de l’Europe (risque élevé)
Frelon asiatique (Vespa velutina) Chine Prédation massive sur abeilles domestiques, déséquilibre pollinique Céramique importée par voie maritime (Lot-et-Garonne, 2004) Toute la France, en extension vers le nord
Perruche à collier (Psittacula krameri) Inde et Afrique subéquatoriale Concurrence pour les sites de nidification, consommation de bourgeons Échappées d’animaleries, relâchées Île-de-France, Marseille, Lille, vallée du Rhône
Leptopilina japonica (guêpe parasitoïde) Japon Parasite les œufs d'insectes pollinisateurs comme les diptères Importation de plantes en pot avec substrat Italie (présence), surveillance active en France
Xylocopa pubescens (abeille charpentière exotique) Afrique de l'Est, Moyen-Orient Compétition avec les xylocopes européens, perturbation de la nidification Transport de bois et mobilier Sud de l’Espagne, risque pour Provence et Occitanie
Megachile sculpturalis (mégachile géante) Asie orientale Compétition avec abeilles solitaires locales, monopole des nichoirs Importations horticoles (bambous, bois de jardin) Rhône-Alpes, Provence, Occitanie
Bombus terrestris audax (bourdon britannique hybride) Royaume-Uni Hybridation avec le bourdon terrestre européen, dilution génétique Utilisé pour pollinisation sous serre Bretagne, Normandie, zones maraîchères
Aethina tumida (petit coléoptère des ruches) Afrique subsaharienne Destruction des rayons, fermentation du miel, effondrement de colonies Transport d’essaims et de matériel apicole Italie (présence depuis 2014), surveillance dans le Sud-Est

 

FAVICOSource : 

Apis florea in Europe: first report of the dwarf honey bee in Malta. Journal of Apicultural Research63(5), 1122–1125. (en français "Apis florea en Europe : premier signalement de l’abeille naine à Malte.")

Uzunov, A., Galea, T., Chen, C., Cilia, G., Costa, C., & Mifsud, D. (2024).

https://doi.org/10.1080/00218839.2024.2386888