... un terrain "mal foutu" fait de creux et de bosses, Château Godeau côtoie d’illustres voisins tels que La Mondotte ou Tertre Roteboeuf. Acquis par Agnès et Albéric Florisoone, anciens copropriétaires de Château Calon Ségur, ce joyau de 6 hectares en appellation Saint-Émilion Grand Cru, presque inconnu il y a peu, commence déjà à devenir célèbre.
Différents propriétaires se sont succédé à Godeau, dont un entrepreneur américain qui avait su s’entourer de précieux conseillers pour mettre en relief les qualités des sols, parmi lesquels Stéphane Derenoncourt. Alors que des Chinois souhaitaient se porter acquéreurs de cette propriété, fin 2012, Steve Filipov leur préfère une famille Médocaine, héritière d’une longue tradition viticole, afin qu’il reste dans le giron français. Suite à la vente du fameux Château Calon Ségur, Agnès et Albéric Florisoone, choisissent d’investir à Saint-Émilion, passant ainsi de la rive gauche à la rive droite de la Dordogne.
Un environnement de toute beauté et un vrai challenge pour ce jeune couple (juste trentenaire), parent de trois enfants, première famille à vivre sur le domaine, la maison étant jusqu’alors restée inhabitée. Albéric se plait à dire : « nous sommes collés les uns aux autres : les vignes au chai, le chai à la maison, et nous à l’ensemble ». Un vrai coup de cœur pour ce domaine fièrement perché sur un plateau calcaire, à quelques kilomètres à l’ouest de Saint-Émilion. Les vignes bordent la route dessinant des courbes jusqu’à l’église de Saint-Laurent des Combes, offrant au passage une vue remarquable sur la Dordogne. Les vins y sont virils, constitués d’une belle « allonge » susceptible de les promener loin dans le temps.
Le vignoble de Godeau forme une succession de croupes et de combes, 9 parcelles, plantées essentiellement de merlot (90 %) et de cabernet franc (10 %), avec une densité de 6 000 pieds hectare, sur le versant nord de la combe de Saint-Laurent-des-Combes, à 98 m au-dessus du niveau de la mer. Il n’existe pas de situation similaire à Saint-Émilion. Ces sols structurants, mêlant une importante couche d’argile à la roche calcaire, constituent la matrice de vins structurés qui aiment la durée. Agnès et Albéric Florisoone affirment qu’ils pourront leur donner encore plus de longueur grâce à un travail du vignoble mûrement réfléchi et à des extractions toujours plus douces.
Des artisans partenaires au service de Godeau
Plutôt que d’adapter la conduite du vignoble à des techniques existantes, ils choisissent de mettre la technique au service de ces tènements escarpés. Exit les désherbants pour faire place à un labour qui épouse le coteau de façon parallèle et permet de passer dans les rangs avec des écartements d’1 m 30 à 1 m 50. Ils font appel à Eric Seuve, propriétaire de chevaux de trait breton, une des races qui accepte de travailler dans des devers et des pentes importantes.
Les parcelles étant escarpées, pour éviter que, à terme, un côté du rang ne se retrouve appauvri en terre, ils ont l’idée ingénieuse de faire fabriquer un matériel conçu pour la physionomie de Godeau, retournant peu de glèbe sur un versant, le double sur l’autre, et inversement. De la même façon, ils choisissent un pépiniériste capable de leur fournir des soudés greffés adaptés au sol et au climat - les sélections massales viendront plus tard - ainsi que des tonneliers spécialistes du sur mesure. Tous ces artisans - laboureur, constructeur de machines, pépiniériste, tonneliers… - travaillent en étroite collaboration avec Agnès et Albéric qui les considèrent comme des partenaires.
« Cette implication de chacun, dans l’élaboration des vins de Godeau nous satisfait pleinement. » « Nous n’avons pas choisi le labour à traction animale pour le folklore, ajoutent t’ils, mais parce que cela nous paraissait la solution la plus adaptée à ce vignoble escarpé. Et puis, nous n’avons rien inventé. Le cheval a quitté Godeau dans les années 60. Un juste retour aux sources ».
Pour aller de la vigne au chai, et du chai à la vigne, il n’y a que quelques pas. Autant dire que les différentes parcelles reçoivent une visite quotidienne. Une proximité favorable à une intervention des plus précises qui compense la difficulté des travaux sur ces parcelles pentues. « La composition d’un Saint-Émilion Château Godeau c’est 80 % merlot, 10 % cabernet franc et 10 % de transpiration » expliquent Agnès et Albéric Florisoone en guidant le visiteur auquel ils précisent qu’il est prudent de marcher comme un crabe pour éviter de glisser.
David Demur, responsable technique à Godeau depuis 2006, a vu passer trois propriétaires différents qui ne vivaient pas sur la propriété. Travaillant en parfaite concertation avec Agnès et Albéric, David s’est adapté aux changements voulus par ces nouveaux « patrons », notamment le labour à cheval.
La plupart des soins apportés à chaque cep relevaient déjà, à partir du millésime 2008, d’un suivi rigoureux mis en place par Julien Lavenu, collaborateur associé de Stéphane Derenoncourt. Un travail basé sur le bon sens, l’observation de la nature, l’intégration de gestes manuels bien compris et la dégustation comme outil de décision.
Les pratiques viticoles s’inscrivent dans un état d’esprit de culture raisonnée. Après le chaussage, qui consiste à ramener la terre autour du pied pour le maintenir au chaud, une équipe d’ouvriers, fidèles au domaine, taillent les ceps en Guyot double pour une meilleure répartition du raisin.
Les mêmes équipes procèdent à un ébourgeonnage au printemps, à un effeuillage début juin, côté soleil levant pour éviter les grillures et à une vendange en vert en été s’il s’avère nécessaire de décompacter les grappes.
Le terroir de Godeau « se mérite »
Présentant des similitudes avec la Bourgogne, il peut donner jusqu’à 7 interprétations différentes du merlot sur une même parcelle, d’où le choix de petites cuves de 30 à 50 hl.
Comme l’impose le cahier des charges de l’appellation Saint-Émilion Grand Cru, les contrôles de maturité se font par analyse mais c’est bien entendu en bouche que l’on apprécie le point de maturité optimal. Il faut que le raisin soit charnu, croquant, que les peaux commencent à venir, que l’on sente des tanins le plus soyeux possible, des pépins sans amertume, sans goût herbacé.
Agnès et Albéric Florisoone, David Demur et Julien Lavenu goûtent et re-goûtent, autant de fois que nécessaire avant d’ouvrir la campagne de vendanges. La cueillette se fait autour du 15 octobre, bien entendu à la main. Seules les grappes jugées dignes de produire un grand vin arrivent au chai, transportées dans des bastes de 10 à 15 kg, par petits lots, grâce à la courte distance - de 10 m à 3 km maximum - qui sépare les vignes du cuvier. Après éraflage, 6 personnes sélectionnent, à la main, les raisins sur une table vibrante.
Dans une jolie cave aux pierres de calcaire apparentes
Le raisin est donc soumis à différents examens avant d’être envoyé dans les cuves par pompe péristaltique, engageant un flux doux et constant. Les fermentations alcooliques durent 4 semaines avec un pigeage manuel traitant les jus et le chapeau de marc avec respect et délicatesse. Le pressoir hydraulique vertical en bois - là aussi un retour aux sources - travaille la matière tout en finesse.
Fin novembre, les vins prennent place, par lots, dans des barriques de 225 litres (1/3 neuves, 1/3 d’un vin, 1/3 de trois vins) pour la fermentation malolactique suivie d’un élevage de 12 à 15 mois. Au total, ce sont 80 interprétations d’un même millésime qui se jouent dans des bois de chêne français, de petite chauffe, au grain très fin, choisis chez « Anna Sélection » et « Morlier » pour accompagner le vin en lui donnant de l’ampleur. Tous se passe dans un joli chai, sobre et fonctionnel.
Un chai qui est en train de grandir
Dans le prolongement de l’existant, Agnès et Albéric Florisoone ont confié la réalisation d’une extension du chai qui sera opérationnelle avec le millésime 2015. Ce bâtiment s’intégrera parfaitement dans l’environnement grâce à Michel Pétuaud Létang architecte de renom.
À son actif : La Cité Mondiale du vin et le Grand Hôtel à Bordeaux, le Grand Musée du Caire, l’Auditorium de Varsovie et quelques 1900 autres réalisations…
Agnès et Albéric Florisoone
Agnès Florisoone
Titulaire d’un BTS assistante en gestion, Agnès « la partie douce et féminine de Godeau » a toujours travaillé aux côtés d’Albéric durant son parcours professionnel. Elle s’occupe de toute la gestion des ventes à l’export, se déplace aux quatre coins de la planète, prospecte, participe à tous les choix. Sa famille - les Capbern Gasqueton - était propriétaire du Château Calon Ségur, en appellation Saint-Estèphe vendu en 2012.
Albéric Forisoone
Issu d’une très vielle famille flamande, titulaire d’un BTS viti-oeno, il part travailler en Alsace pour une société immobilière dans la branche transactions viticoles et continue son parcours à la Barclays finances à Bordeaux. Puis, avec Agnès, ils créent une société de négoce - Florivitis - spécialisée dans les crus du Bordelais. Dans le même temps, ils acquièrent une petite entité viticole à Barsac en appellation Sauternes, qu’ils garderont jusqu’en 2010. Albéric rejoint ensuite une fabrique de bouchons. Avec l’acquisition de Godeau, il redevient vigneron (vinifiant son premier millésime en 2013, l’un des plus difficiles à Bordeaux « Ce sera l’occasion de vérifier si nous avons fait les bons choix, tant à la vigne que dans les chais » soulignent t’ils.
En savoir plus http://www.chateaugodeau.com/