Les Couleurs de ma Gascogne "Jaune" - Chantal Armagnac

Les Couleurs de ma Gascogne "Jaune" - Chantal ArmagnacPour nous conter sa Gascogne natale, Chantal Armagnac poursuit son voyage coloré. Ce second opuscule est dédié au jaune. Un nouveau paysage sensible se dessine ; des champs de tournesol et de blé aux élixirs ambrés qui mûrissent dans les chais, avec un tour de piste dans les Pyrénées à la poursuite du maillot jaune pour ....

.... finir dans les étoiles où l’on croise les vétérans de l’Aéropostale. Et quand la moutarde lui monte au nez, l’auteure hausse le ton : le respect et la préservation des richesses naturelles de la Gascogne sont plus que jamais d’actualité !

Chantal Armagnac  nous présente son nouveau livre : "La Gascogne a inspiré de nombreux auteurs et photographes. Quand à mon tour j'ai voulu rendre hommage à ma terre natale, je me suis interrogée sur la manière d'en dresser le portrait. Avoir passé cinquante années en son centre géographique, Saint-Mont, point statégique où les évêques tinrent plusieurs conciles, n'est pas anodin. A n'en pas douter, pierres, vignes et bois alentour m'ont soufflé des bribes de mémoire des Princes vascons ... Sensation étrange ...Mais comment l'exprimer ? Les-Couleurs-de-ma-Gascogne-Jaune
Vint l'idée de travailler à partir des couleurs. Raconter les traditions et les paysages de ma terre natale, avec pour fil conducteur la couleur, ouvre de nouvelles perspectives ; d'autres liens se tissent entre les choses, les êtres, les lieux . Ainsi se révèle differemment la culture qui coule à travers nous. Chaque opuscule s'ouvre sur une évocation de sensations personnelles puisées dans mes souvenirs puis aborde quelques traits de l'histoire, des paysages, des traditions tous rattachés à cette couleur dans mon imaginaire et enfin se termine par un coin gourmand.
Si le rouge et le jaune prennent le pas sur les autres couleurs et de ce fait s'inscrivent les premiers sur ma palette, c'est que spontanément ils sont apparus en premier dans mon imaginaire, ce sont les couleurs de la ruralité, du sang, du vin et de la terre. La Gascogne que j'évoque est un large territoire cerné par l'océan, la Garonne et les Pyrénées... du temps des Princes Vascons autour de l'an mille."

Extrait du livre - Introduction

Cet ouvrage constitue le second volet des Couleurs de ma Gascogne.

Après avoir abordé la couleur rouge, je m’applique ici à tisser des fils dorés ; je déclinerai tout ce qui apparaît, dans mon imaginaire, apparenté au jaune en Gascogne. Puisant tour à tour dans les souvenirs d’enfance, dans l’Histoire (allusion au « Lion des Pyrénées », Gaston Phébus), dans nos paysages et nos traditions agricoles (champs de colza, de tournesol, blés mûrs…vignobles), relevant les spécificités aéronautiques du Sud-Ouest par le biais des étoiles du ciel, sans oublier les fanfares qui ensoleillent les rues lors des fêtes où se dégustent tant de gourmandises. Le même souci m’habite : apprendre à mieux connaître le pays où je suis née, transmettre à ceux qui viendront…Comme je m’en suis expliquée dans l’introduction de l’ouvrage consacré au rouge, les exemples qui émaillent le texte, sont puisés dans un large territoire cerné par l’océan, la Garonne et les Pyrénées, un territoire qui correspond à l’apogée de la puissance des Princes Vascons (autour de l’an mille) auxquels la Gascogne doit son nom.

Mais avant d’aller plus loin, il m’est apparu utile de faire un retour sur le drapeau de la Gascogne.

Le drapeau de la Gascogne

Les armoiries de la province de Gascogne, dans le langage héraldique, se lisent ainsi : écartelé aux 1 et 4 d’azur au lion d’argent ; aux 2 et 3 de gueules à la gerbe d’or liée d’azur. Décrit plus prosaïquement, le blason est divisé en quatre parties égales par un trait vertical et un trait horizontal, occupées tantôt par un lion blanc sur un fond bleu, tantôt par une gerbe dorée sur un fond rouge.

Cette description nous renvoie aux six couleurs de l’héraldique qui portent des noms particuliers ; or (jaune), argent (blanc), gueules (rouge), sable (noir), azur (bleu), sinople (vert), les six couleurs de base de la culture occidentale selon Michel Pastoureau, historien des couleurs.

Les-Couleurs-de-ma-Gascogne-Jaune-05Ces armoiries ont été attribuées à la Gascogne par Louis XIV à la fin du XVIIème siècle. Elles figurent peu dans les ouvrages littéraires consacrés à la région. Rares sont les rituels, qu’ils soient sportifs, festifs, commémoratifs ou politiques, qui hissent le drapeau gascon.

Il flotte cependant tout au long de l’année en haut de la Tour de Termes d’Armagnac et la commune de Castet-Arrouy l’a adopté comme emblème. Il est apparu tout de même par deux fois, à Toulouse, au milieu des drapeaux occitans brandis par la foule rassemblée pour la défense de la culture occitane, lors de la manifestation Tolosa 2012.

Si peu de Gascons s’identifient à ce blason, c’est qu’il a été attribué tardivement à la province, d’une manière peut-être arbitraire, et surtout sans un fondement historique puissant, à l’inverse du drapeau occitan, antérieur et porteur d’une image symbolique forte. La croix occitane, « signe de ralliement chaleureux et flamboyant », devenue emblème de la région Midi-Pyrénées dans les années 1980, est l’un des rares graphismes qui a traversé les siècles (cf. Bertran de la Fage).

Du blason gascon, émergent quatre couleurs ; gueules, or, argent, azur. Qui les a combinées ? Comment se sont imposés le lion et la gerbe de blé ? Evidemment, le choix du lion, emblème des Fezensac puis des Armagnac, reconnaît la domination des Armagnac sur l’ensemble de la province. Certes, le lion est de loin la figure la plus fréquente en héraldique, cependant on peut noter que, durant toute l’époque ibérique, il est, avec le taureau, le symbole le plus populaire de la force protectrice et de la régénération. Il figurerait, dit-on, sur un bas-relief ornant la tombe hypothétique (sise dans le Prieuré de Saint- Orens à Auch ?) de Sanche-Mitarra, Prince mythique de Gascogne au IXème siècle, qui se battit effectivement comme… un lion !

Si l’emblème de la dynastie régnante est adopté, les couleurs ne sont pas respectées. Le lion n’est plus flamboyant. D’argent au lion de gueules (lion rouge sur fond blanc) il devient d’azur au lion d’argent (lion blanc sur fond bleu). Il perd sa couleur typiquement martiale et par là chevaleresque. Les règles d’encodage du XVIIème siècle contraignent-elles à ce glissement ?

La gerbe d’or, liée à la symbolique du soleil, peut se rapporter à l’opulence de la Gascogne, grenier à blé du Sud. La vigne, pourtant bien implantée au XVIIème siècle, n’a pas encore fait la gloire de la province. Strabon, géographe gréco-romain du début du Ier siècle, signalait déjà les terrasses de la Garonne et les coteaux des Ausci et des Lactorates, peuples de la Novempopulanie (cf. Les Couleurs de ma Gascogne, Rouge) comme bons terroirs où prospéraient l’orge et le blé, et les moulins à grains. Clin d’œil donné par l’histoire moderne, la première coopérative créée en France est la Meunerie de Condom !

Les-Couleurs-de-ma-Gascogne-Jaune

Les mots pour le dire

« Si l’adjectif gascon ne diffère en rien au masculin de son équivalent français pour ce qui est de la graphie, il en va tout autrement dans le domaine de la phonétique. En effet, le mot gascon jaune (prononcé yaouné) contient cette diphtongue (au) et même triphtongue (iau) avec le graphème j/i à l’initiale, tout à fait étrangères à la langue française, sauf peut-être dans l’onomatopée animale « miaou »… (ainsi tous les chats de l’Hexagone causeraient occitan ? !…) Et peut-être aussi à la réflexion dans le mot « royaume »…

Le jaune étant une couleur primaire, il n’est pas surprenant que l’on trouve déjà dans la langue latine presque une dizaine d’adjectifs différents marquant toutes les nuances de la couleur : flavus (jaune – or vermeil) qui a donné le mot de flavescence dorée, cette maladie de la vigne si redoutée des vignerons de la Gascogne et d’ailleurs ; helvus (jaune orangé) qui est la couleur de la helvelle, champignon très toxique s’il n’est pas cuit ; luteus (jaune doré) d’où dérive l’adjectif français lutéal (et qui a donné la lutéine, pigment présent dans le jaune d’œuf) ; croceus (jaune safrané) celui du crocus par exemple (voir plus bas) ; gilvus (jaune clair ) pour la robe d’un cheval ; cereolus (jaune cireux) ; lividus (jaune plombé) et enfin luridus (jaune très pâle et par extension sale, graisseux) qui a laissé l’adjectif lurde ou lurdós avec le même sens et que l’on retrouve dans la toponymie de quelques communes (Lourdios en Béarn et peut-être même Lourdes après tout).

Les-Couleurs-de-ma-Gascogne-JauneSi le français compte nombre d’expressions incluant le mot jaune (rire jaune, fièvre jaune, nain jaune, syndiqué jaune, pages jaunes, maillot jaune etc…) le gascon est également de son côté riche en dérivés qui viennent moduler le discours.

On trouvera donc avec les diminutifs et/ot jaunet - jaunòt (qui tend vers le jaune) ; a contrario les suffixes às/ós donnent jaunàs ou jaunós (jaunâtre), tous deux passablement péjoratifs et même le plus subtil jaunissós (qui marque la répétition).

Comme verbes, on retrouve enjaunir (rendre jaune) ou bien jaunejar ou enjauni’s avec le pronom personnel euclitique si particulier au gascon (se teinter de jaune) ou même encore jaunissejar tous formés sur le verbe jaunir.

On dit encore en gascon : jaune coma un codonh (comme un coing bien

mûr) ou jaune coma safran (du temps où on le ramassait en Gascogne pour ses stigmates coloriantes, culture remise à l’honneur au domaine de Gelas au Houga près de Nogaro) et aussi jaune coma un cocut (comme une jonquille) qui est comme la fleur emblème du comté de Glamorgan autour de Cardiff et par extension de tout le pays gallois au même titre ou presque que le vert poireau, le rouge dragon ou les trois plumes princières…

Chez nous, en Gascogne, le jaune évoquerait plutôt les vastes aplats des champs des blés d’or, du colza ou du tournesol, le jaune mordoré des vignes après les vendanges dans l’arrière-saison, celui aussi diversement « marroent » du sable des petites arènes de nos villages ou des fioles d’armagnac ou bien encore celui « des flancs ouverts des pins où scintille la résine claire » (Emmanuel Delbousquet) voire celui jadis cerclé de noir du grand Stade Montois des Boni et de Darrouy… Mais tout cela est précisément l’objet de cet ouvrage. » Jean-Claude Rieudebat Juillan, 2012

« L’enfant, voyant l’aïeule à filer occupée, Veut faire une quenouille à sa grande poupée.

L’aïeule s’assoupit un peu ; c’est le moment.

L’enfant vient par derrière, et tire doucement Un brin de la quenouille où le fuseau tournoie, Puis s’enfuit triomphante, emportant avec joie La belle laine d’or que le safran jaunit, Autant qu’en pourrait prendre un oiseau pour son nid. » Victor Hugo, Cauterets, 25 août 1843

Des qualificatifs et des expressions

Jaune pâle, jaune d’or, jaune soleil, jaune citron, jaune moutarde, jaune bouton d’or, jaune paille, jaune canari, ambre, jaune soufre, jaune safran, jaune réséda.

Le jaune est le fard des brunes.

Du dieu solaire Abellio à Phébus

Le soleil éclaire autant qu’il réchauffe. Nos ancêtres préhistoriques l’ont relié d’instinct à la vie et ont gravé en son honneur une grande variété de formes sur la pierre (cercles, rayons, spirales, têtes

auréolées…) bien avant qu’il ne devienne l’œil de Rê en Egypte ou la chevelure d’Hélios en Grèce.

« Chez les Aquitains, la plus adorée de toutes les divinités est Abellio, le dieu solaire protecteur des Garumni, qui a son sanctuaire au sommet de la colline de Lugdunum (Saint-Bertrand-de-Comminges). Non moins vénérée est Belisama, déesse de la lumière et de la flamme, protectrice des Consorani dont le temple principal est celui de Saint- Lizier. A côté de ces divinités lumineuses, le dieu sombre Ilunis, puissant et vengeur, est honoré dans la vallée d’Aure, ainsi que dans les environs de Luchon et de Saint-Béat où il est parfois associé au culte des montagnes » (Pierre Gérard, Les Aquitains, des Gaulois pas comme les autres).

Tout comme en Comminges, le symbole solaire est fréquent dans la décoration murale et mobilière en Pays Basque, c’est l’héritage d’une culture néolithique et de la déesse Mari.

Les-Couleurs-de-ma-Gascogne-JauneLes souverains exploitent le symbolisme universel du soleil pour rassembler leur peuple, unifier leurs conquêtes. Bien avant que le Roi Soleil n’exalte le culte d’Apollon à Versailles, une des grandes figures de Gascogne, Gaston III de Foix Béarn s’approprie l’image de la divinité solaire et devient Gaston Phébus (1331-1391) le prince aux cheveux d’or.

Gaston III reçoit en 1343 les possessions de son père, à l’ouest les vicomtés de Béarn, Marsan, Gabardan, à l’est le comté de Foix et enfin dans l’Albigeois, le vicomté de Lautrec. Particularité singulière de ces possessions, celles de l’ouest sont rattachées à la couronne d’Angleterre, celles de l’est relèvent du Roi de France. Gaston, surnommé encore le Lion des Pyrénées, n’aura de cesse d’œuvrer pour s’affranchir de la suzeraineté anglaise (représentée par le Prince

Noir) comme il rivalisera toujours avec son voisin le Comte d’Armagnac à qui l’oppose une querelle à propos des terres de la Bigorre. Le départ à la croisade contre les païens de Lituanie lui donne l’occasion de se faire un nom pour la postérité. « Cette lointaine expédition durant l’été 1357 change sa personnalité. Parti Gaston de Foix à la croisade, il en revient un an plus tard, couvert de lauriers et doté d’un nouveau nom, Gaston Phoebus ou Fébus. C’est désormais sous ce nouveau nom que vont être signés tous les actes, lettres et commandements, que les monnaies seront frappées. Le jeune prince est d’une si belle prestance, sa crinière blonde prend si bien la lumière pour la restituer en une rayonnante auréole que le nouveau nom de Gaston semble n’avoir étonné personne » (Jacques Labarbe, Gloires de Gascogne). Le château de Pau accueille en 2012 une exposition consacrée à l’œuvre et la vie de ce personnage haut en couleur, auteur présumé du célèbre Se canti (dit aussi Aqueras Montanhas), l’hymne gascon adopté par l’Occitanie toute entière !

« J’ai vu bien des chevaliers, des rois, des princes. Mais jamais je n’en vis qui fut de si magnifique stature et de si merveilleuse prestance. Son visage était très beau, coloré et rieur. Ses yeux étaient verts et amoureux. En toutes choses il était parfait. Il aimait ce qu’il devait aimer, haïssait ce qu’il devait haïr. Il était aimable et accessible à toutes gens et il leur parlait doucement et amoureusement. Mais dans son courroux nul n’avait pardon. » Jehan Froissart

Clin d’oeil aux poètes : la Cigale d’Or a été remise le 27 avril 2012 à Paulette Baylac, élue Majorale par le Consistoire du Felibrige à la Santo Estelle des Saintes Maries de la Mer. Cette distinction a été détenue auparavant par Léonce Couture (abbé de Cazaubon), Miqueu de Camelat (Arrens) et Clotilde Lamazou-Betbeder…

L’auteur
Née à Saint-Mont (Gers), Chantal Armagnac collabore à divers journaux (La Dépêche du Midi, Sud-Ouest, Gascogne La Talenquère, Cuisine et Vins de France...) avant de se consacrer à l’écriture. Après avoir dédié trois ouvrages à l’eau-devie gasconne (dont “L’Armagnac pour les Nuls” aux éditions First), elle livre ici un nouveau regard sur son pays natal

Pour cet article AquitaineOnLine bénéficie d'un droit de reproduction rédactionnel et photographique accordé par Les éditions Grand Sud
En savoir plus http://editionsgrandsudlivres.over-blog.com/