BORDEAUX VILLE OUVERTE
Classée au patrimoine mondial de l’Unesco en 2006, la ville de Bordeaux représente l’un des plus beaux ensembles européens de grande architecture classique – une architecture qui ne se limite pas à un prestigieux XVIIIe siècle.
Cette grande ville de l’Europe respire, s’ouvre et se livre en quatre cents pages de photographies et de commentaires historiques, sous la direction de Jacques Sargos, signataire pour les éditions L’Horizon Chimérique, du plus bel ouvrage consacré à sa ville « Bordeaux, chef-d’oeuvre classique ». Illustrant les étonnantes richesses du « Port de la Lune », il donne au lecteur les clés pour reconnaître les styles, pour suivre les évolutions… une vision synthétique permet de dépoussiérer l’image du « classicisme » et de montrer tout ce que notre modernité doit aux créateurs de ce temps.

SCULPTEE, OUVRAGEE, ORNEMENTEE...BORDEAUX VILLE RAFFINEE
Le classicisme bordelais commence avec la Renaissance et s’épanouit au XIXe siècle, dans une extraordinaire continuité urbaine. La Bourse des Gabriel, le Grand-Théâtre de Victor Louis sont célèbres dans le monde entier. Mais ces monuments magnifiques ne doivent pas faire oublier les innombrables immeubles, les églises, les hôtels particuliers qu’on ne se lasse pas d’admirer jusque dans le moindre détail. Ce ne sont, au long des rues, que façades de pierre blonde sculptées de masques et d’ornements, ferronneries superbement ouvragées, portes colossales aux lourds marteaux d’argent mat, églises dont la pénombre abrite de chatoyants autels baroques.
Derrière les façades, quelques décors intérieurs encore bien conservés témoignent du raffinement inouï du cadre de vie. Aux côtés des monuments qui ont survécu, l’on découvrira des merveilles disparues, à commencer par le mythique Château-Trompette, l’une des plus belles forteresses de France, achevée par Vauban.
DES PERSPECTIVES THEATRALES
Bordeaux, cependant, ne se réduit pas à une somptueuse collection d’édifices. Son agencement spectaculaire, ses perspectives théâtrales, la longue harmonie de ses quais sont en soi un chef-d’oeuvre d’architecture, une oeuvre de l’esprit. Presque entièrement recréée à l’âge classique, portée par la prospérité de son port, cette cité a été pensée en profondeur – et tout d’abord rêvée – par des urbanistes de génie. Ces hommes ont contribué à l’invention de la ville et de la vie modernes. Leur action était fondée sur la Raison, sur le progrès. Mais cette action incroyablement efficace n’allait jamais sans la beauté. Ils ne concevaient pas de construire, si ce n’était pour embellir.
Et pour bâtir un nouveau monde, ils puisaient dans l’Antiquité, comme à une source toujours jaillissante, les secrets d’une splendeur qu’ils pensaient intemporelle. C’est en cela qu’ils étaient des classiques. Bordeaux résulte de leur foi dans la puissance de l’art.

Bordeaux, chef d’œuvre classique? Le livre n'est pas loin, lui aussi, d’en être un !
L'AUTEUR - JACQUES SARGOS
Né en 1957 à Bordeaux, Jacques Sargos consacre sa vie à l’art et aux livres. En tant qu’historien, ou comme éditeur, il a publié de nombreux ouvrages de référence sur l’Aquitaine. Son Histoire de la forêt landaise (1997) a raconté la transformation du désert landais en forêt de Gascogne. En 2006, il a reçu le prix de l’Académie de Bordeaux pour Bordeaux vu par les peintres.

En mars 2006, l’Unesco a inscrit la ville de Bordeaux au patrimoine
mondial de l’humanité. Bien que ce prestigieux label ait distingué
l’ensemble d’un « paysage culturel urbain », la décision reconnaissait
principalement une cité « exceptionnelle au titre de son unité urbaine
et architecturale classique et néoclassique, qui n’a connu aucune
rupture stylistique pendant plus de deux siècles ». Évidement, l’on se
gardera de de réduire Bordeaux à ces deux seuls siècles. N’oublions pas
la métropole antique, puis la grande ville médiévale. Ne méprisons pas
un XIXe siècle éclectique qui a laissé ici des richesses dont les
historiens sont loin d’avoir achevé l’inventaire.

Défendons un XXe
siècle bordelais qui a étincelé des feux de l’Art déco avant
d’expérimenter un urbanisme d’avant-garde lors de la rénovation du
quartier Mériadeck. Cependant, le choix de l’Unesco a clairement mis en
relief ce qui fait la force et la particularité de Bordeaux :
l’épanouissement harmonieux, sur une immense étendue, d’une
architecture classique. Il semblait donc pertinent que le « classicisme
» s’impose comme le meilleur fil conducteur pour présenter une partie
essentielle du patrimoine de la ville. À condition de donner un contenu
à ce mot qui demeure le plus souvent une commodité de langage, une trop
simple étiquette recouvrant une aventure complexe. La diversité du
classicisme peut être sommairement ramenée à une notion : la référence
à l’antique, obsession de l’Occident pendant plusieurs siècles.
Le
destin architectural de Bordeaux s’éclaire par la métamorphose de
l’Europe à partir de la Renaissance – par cette révolution
intellectuelle et artistique qui inventa la modernité urbaine d’une
manière paradoxale, en s’imprégnant des idéaux d’un lointain passé :
l’Antiquité gréco-romaine. Impossible d’évoquer Bordeaux à l’âge
classique sans parler de Rome ou de l’Italie ancienne et moderne ; sans
parler aussi de Paris, de Versailles et des grands courants qui ont
entraîné la transformation des villes européennes… Tel est le parti
pris par cet ouvrage, et nous ne nous éloignerons de Bordeaux que pour
mieux nous en rapprocher. Ce livre eût été impossible à écrire s’il
n’avait reposé sur la somme d’analyses et de connaissances accumulées
par de nombreux savants bordelais. Grâce à une longue tradition
érudite, l’histoire de la capitale de la Guyenne est déjà bien connue,
quoique la matière en soit inépuisable et réserve toujours de
surprenantes découvertes (notamment en archéologie). L’architecture
classique a déjà été étudiée par de remarquables spécialistes dont nous
avons été le lecteur attentif et passionné.
Nous voudrions saluer en
premier lieu un universitaire bien oublié, Paul Courteault (1867-1950),
ardent travailleur dont l’Histoire de la Place Royale de Bordeaux
(1923) et celle du Château-Trompette (inédite) n’ont jamais été
égalées. Comment nommer ensuite tous les auteurs auxquels nous devons
tant, les uns s’étant consacrés aux époques les plus anciennes,
d’autres ayant exploré le XVIIIe siècle ou redécouvert l’ampleur du
néoclassicisme girondin ? Citons seulement François-Georges Pariset,
Jacques Gardelles, Paul Roudié, Daniel Rabreau, Robert Coustet,
Marie-France Lacoue-Labarthe, Christian Taillard, Philippe Maffre,
Jean-Pierre Bériac, en ayant une pensée pour quantité d’autres
chercheurs. Nous tenions à les mettre à l’honneur dès cet avant-propos.

De même, l’hommage à Bordeaux que constitue cet
album n’aurait pu voir le jour quelques années plus tôt. Sa puissance
évocatrice tient avant
tout à l’abondance de son illustration. Des centaines de photographies,
dues au talent d’Alain Béguerie, se vouent autant à des immeubles dans
leur
ensemble qu’à de multiples détails, car nous invitons ici à une vision
rapprochée de l’architecture. Mais Bordeaux n’aurait pu être ainsi
photographié
sans le formidable travail de sauvegarde et de restauration qui a été
entrepris sous les mandats de Jacques Chaban-Delmas et amplifié sous la
conduite
d’Alain Juppé. La ville du XXe siècle, celle qu’a connue François
Mauriac, était comme ensevelie sous la cendre, noire de suie. La longue
façade de ses
quais, orgueil de l’intendant Tourny, symbolisait toutes les
humiliations que le temps inflige à la splendeur, tous les accidents
qui peuvent défigurer
une harmonie initiale.
Depuis les rénovations qui ont rendu à Bordeaux
l’apparence d’une cité des Lumières, les Bordelais, comme opérés de la
cataracte,
redécouvrent la ville de pierre blanche qu’ont admirée les voyageurs du
XVIIIe siècle. Cette ville, devenue photogénique, peut enfin se laisser
contempler au miroir de la photographie, autrement qu’à travers le flou
artistique des brumes de Garonne.
Ces pages célèbrent un Bordeaux classique en pleine résurrection, mais
n’omettent pas un Bordeaux disparu, non moins essentiel pour la
compréhension
de la ville : celui du Château-Trompette ou de l’hôpital de la
Manufacture. Ni même un Bordeaux qui n’a jamais été, celui des projets
utopiques et de « l’architecture de papier ».
On remarquera l’absence
d’un pan essentiel de l’architecture bordelaise, qui illustre pourtant
le rayonnement
de la cité et l’opulence heureuse de sa société : à savoir les maisons
de plaisance, les « châteaux à vin » et autres « chartreuses » qui ont
orné la
banlieue de Bordeaux ou le paysage bien domestiqué des campagnes
girondines. Cette absence n’est pas un oubli. Le sujet nous a paru trop
considérable
pour n’occuper qu’un seul chapitre dans un livre où il y avait déjà
tant à dire.
Nous espérons lui consacrer un jour l’entier volume qu’il
mérite.
Renvoyons pour l’instant le lecteur à de précieuses publications
malheureusement épuisées : le catalogue de l’exposition
Châteaux-Bordeaux (1988)
et l’ouvrage collectif Maisons de plaisance en Bordelais (1994).
Que l’on nous pardonne enfin la brièveté des passages où nous rappelons
ce que nul n’ignore, c’est-à-dire que cette ville classique fut aussi
la ville
des auteurs « classiques » par excellence, Montaigne et Montesquieu.
Mieux qu’une cité, en effet, Bordeaux est une civilisation. De cette
capitale humaniste
et raffinée, l’architecture offre l’un des plus brillants reflets, non
le seul. Souhaitons maintenant bienvenue à tous : que la visite
commence !

Source : CanalCom