On ne venait pas sur la côte à cette saison, sans chercher
quelque chose d’important ! Marc avait l’impression qu’il
devenait fou. Si ce n’était déjà fait, il allait sûrement perdre
la raison. En trois jours, il avait appris plus de choses sur sa
vie et celle de ses proches qu’en presque toute une existence.
Il avait vécu pendant des années avec des gens qui lui
avaient joué, volontairement ou involontairement, la comédie.
Lui qui aimait la simplicité, il n’était pas prêt à tout
cela. Sûr, cette année des treize lunes était une véritable
malédiction.
- L’auteur nous transporte à la Libération, où coups fourrés et passions exacerbées ont déchiré les êtres, divisé les familles et fracturé les terroirs.
- Une construction habile, avec en toile de fond le Médoc, ses lieux, ses paysages et ses personnages hauts en contrastes, en couleurs et en caractères.
L’Année des treize lunes
Bernard Duporge
Une rivalité ancestrale
Dans ce curieux Médoc, on est soit ribeyrot, soit landescot. Jamais les deux en même temps.
Les uns ont le vin et la rivière, les autres ont les pins et l’océan. Les gens de la forêt sont des landescots,
venant des landes médocaines où le pin est roi, tandis que les gens de la rivière, surnommés
les ribeyrots, ont la vigne pour décor. Depuis longtemps, les ribeyrots sous-estiment gentiment
les gens de l
a forêt. Plus sérieusement, on ne peut nier les différences de comportement, de personnalité,
même si tous vivent pourtant dans le même pays.
Un parfait amour
Si rien ne prédestine Elisabeth, la ribeyrote, et Marc, le landescot, à se rencontrer, tout commence
pourtant bien : une petite maison sur la dune, un parfum d’embruns, un amour naissant…
D’emblée, la jeune femme adopte ce pays de sable et d’eau, ainsi que le mode de vie plus simple
et plus vrai des gens de la côte qui se suffisent de peu pour être heureux. Marc, lui, est séduit par
la propension d’Elisabeth à rêver, par son goût pour la liberté, mais surtout par sa volonté de
remettre en cause les convenances qui régissent la vie de sa famille depuis plusieurs générations.
Elle étouffe dans ce carcan social et familial et rejette son avenir tout tracé.

Juste après sa visite, avec sa mère, Colette, dans la petite maison de Marc, les choses changent
subitement. « Colette avait vu la photo sur la cheminée. Son étonnement avait été total. Elle avait
eu le sentiment qu’elle allait s’évanouir. » D’abord lointaine, Elisabeth devient fuyante, au point de
disparaître de la vie de Marc sans autre explication. Pourquoi ne vient-elle plus le voir ? Elle ne
répond même plus à ses messages. Pour Marc, ce n’est pas la première fois que le mystère frappe à
la porte, comme le répète si justement le vieux Médard. Les nuages semblent arriver dans sa vie
aussi rapidement que ceux qui s’amoncellent à l’horizon, laissant présager une fin d’année tourmentée.
Et sur cette côte qui le fascine, il respire à pleins poumons les embruns venant du grand
large qui « ont un tel goût de sel qu’ils accrochent aux narines ».
La tempête se déchaîne sur la côte et dans les esprits.
En proie à un profond désarroi, Marc est stupéfait de voir débarquer Martine, accompagnée
d’une amie sénégalaise, Djamila.… Martine, qu’il n’a pas revue depuis une éternité et qui le renvoie
immédiatement à un passé qu’il croyait enfoui. « Ils avaient gravé leurs prénoms dans une
écorce d’arbre. S’étaient juré un amour éternel. Un jour, elle était “montée” à Paris et, peu à peu,
avait cessé de donner de ses nouvelles. »
Tout se bouscule dans la tête de Marc. La tempête, la pluie, l’orage, Elisabeth et maintenant
Martine ! Décidément, Médard a raison, « les treize lunes ont tout gâché et chaque marée apporte
son lot de surprises ». Treize lunes ou pas, cette année est des plus curieuses.
Mais Martine n’est pas venue retrouver son amour de jeunesse. Elle est venue pour interroger
les derniers témoins d’une époque révolue, que les jeunes n’ont pas connue, mais à laquelle les
vieux, dont Médard et Elie, ont participé activement. Au décès de sa mère, Martine a découvert
par hasard son journal intime, un vieux cahier jaune, dans lequel elle raconte la honte de toute une
vie. Tondue à la Libération pour avoir aimé un soldat allemand, l’humiliation fut si grande qu’elle
l’a brisée à tout jamais. « Un seul instant aura été nécessaire à Martine pour comprendre toute une
vie de silence. D’absence. De résignation. De solitude. Elle réalisa pourquoi sa mère n’était jamais
revenue sur cette côte qu’elle avait pourtant tant aimée. Le climat n’y était pour rien. Les nerfs non
plus. » Bouleversée par le contenu du cahier jaune, Martine décide qu’elle doit savoir ce qui s’est
passé. Et pour cela, elle est prête à se rendre sur place pour connaître les vrais coupables, pour leur
dire en face l’horreur de leurs actes et qu’ils avaient, un matin d’automne, tué sa mère sans la faire
mourir. Elle doit aussi comprendre pourquoi sa mère a été jugée si durement pour un acte d’amour,
et surtout pourquoi personne n’est intervenu pour empêcher cette ignominie.
Assise à une table dans le seul bar ouvert, devant Médard, Elie et Marc, Martine lit le cahier
jaune… L’horreur plane. L’atmosphère s’alourdit. Dehors les éléments se déchaînent. Cette lecture
réveille des souvenirs, des hontes, des douleurs et des peines, enfouis au plus profond des êtres. Car
les souvenirs, même mauvais, ne s’effacent jamais. Ils s’installent au fond de la mémoire et ne
demandent qu’à remonter. « Maintenant, la chair était à vif. Tout était plaie. Chez Martine,
Médard, Elie, et même chez Pierrot, le patron du bar. Marc était désemparé. Elisabeth, revenue
sans prévenir, se sentait de trop dans cette situation qui ne la concernait pas, et où elle avait mis
les pieds sans le vouloir. »

Etonnante tournure de l’histoire
Les enfants ont toujours besoin de comprendre, surtout quand on s’applique à leur dissimuler
la vérité. Tous les jeunes gens présents dans cette histoire ont vécu leur enfance dans les secrets
et les non-dits. A l’âge adulte, ils sont à la recherche de la vérité et du « pourquoi », tandis que les
anciens se trouvent confrontés à leurs actes. Quelles que soient les années, avec ou sans treize lunes,
un jour ou l’autre, on devient tous comptable de ses actes.
Il y a comme cela des rendez-vous dans la vie auxquels on n’échappe pas, des moments qui
surviennent et dont on s’abuse en croyant qu’ils arrivent par hasard. Il en est ainsi de cette rencontre
dans ce petit bourg tranquille de la côte médocaine. Plus que n’importe quelle tempête
météorologique, ce rendez-vous occasionnera de profonds dégâts. En trois jours, les jeunes gens
auront compris que la vie n’est que ricochet. De Médard à Aline, de Médard à Flavius, et de
Médard à Colette, le caillou ne cesse de rebondir. Chaque nouveau rond dans l’eau blesse quelqu’un
et ravive une plaie.
« Dans ce pays de landescot qui a sa part de mystère, dans ce pays de pins qui sent bon la
résine, l’essence de térébenthine, dans ce pays de marées et de naufrageurs sympathiques, il peut
aussi y avoir des secrets qui salissent le décor. »
Bernard Duporge nous embarque dans un univers de coups fourrés et de passions dévastatrices
qui apparaissent au grand jour par le jeu des ricochets de la vie. Cette solide chronique d’une
époque troublée brise nombre de tabous et d’idées reçues. Par touches successives, l’auteur nous
entraîne au coeur de la réalité des faits et de la vérité des êtres. Il marie habilement les ingrédients
historiques, psychologiques et romanesques, pour nous décrire une page encore récente de l’Histoire,
en dégager les zones d’ombre et de lumière si souvent imbriquées et surprenantes.

Crédit Rédactionnel et photographique Editions Lucien Souny - Le Puy Fraud - 87260 Saint-Paul
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Photographie Carrelet : Micol33