B. Duporge L'année des 13 lunes

anne_13lunes_01.jpgLe passé n’appartient pas qu’à ceux qui l’ont vécu. Il peut aussi rattraper ceux qui en héritent et compromettre ainsi leur avenir. Deux jeunes amoureux sur la terre du Médoc vont faire l’expérience de ces incroyables ricochets de la vie. L'année des treize lunes par Bernard Duporge.
 
On ne venait pas sur la côte à cette saison, sans chercher quelque chose d’important ! Marc avait l’impression qu’il devenait fou. Si ce n’était déjà fait, il allait sûrement perdre la raison. En trois jours, il avait appris plus de choses sur sa vie et celle de ses proches qu’en presque toute une existence. Il avait vécu pendant des années avec des gens qui lui avaient joué, volontairement ou involontairement, la comédie. Lui qui aimait la simplicité, il n’était pas prêt à tout cela. Sûr, cette année des treize lunes était une véritable malédiction.
  • L’auteur nous transporte à la Libération, où coups fourrés et passions exacerbées ont déchiré les êtres, divisé les familles et fracturé les terroirs.
  • Une construction habile, avec en toile de fond le Médoc, ses lieux, ses paysages et ses personnages hauts en contrastes, en couleurs et en caractères.
 
L’Année des treize lunes Bernard Duporge
Une rivalité ancestrale Dans ce curieux Médoc, on est soit ribeyrot, soit landescot. Jamais les deux en même temps. Les uns ont le vin et la rivière, les autres ont les pins et l’océan. Les gens de la forêt sont des landescots, venant des landes médocaines où le pin est roi, tandis que les gens de la rivière, surnommés les ribeyrots, ont la vigne pour décor. Depuis longtemps, les ribeyrots sous-estiment gentiment les gens de lanne_13lunes_02.jpga forêt. Plus sérieusement, on ne peut nier les différences de comportement, de personnalité, même si tous vivent pourtant dans le même pays. Un parfait amour Si rien ne prédestine Elisabeth, la ribeyrote, et Marc, le landescot, à se rencontrer, tout commence pourtant bien : une petite maison sur la dune, un parfum d’embruns, un amour naissant… D’emblée, la jeune femme adopte ce pays de sable et d’eau, ainsi que le mode de vie plus simple et plus vrai des gens de la côte qui se suffisent de peu pour être heureux. Marc, lui, est séduit par la propension d’Elisabeth à rêver, par son goût pour la liberté, mais surtout par sa volonté de remettre en cause les convenances qui régissent la vie de sa famille depuis plusieurs générations. Elle étouffe dans ce carcan social et familial et rejette son avenir tout tracé.
 
Juste après sa visite, avec sa mère, Colette, dans la petite maison de Marc, les choses changent subitement. « Colette avait vu la photo sur la cheminée. Son étonnement avait été total. Elle avait eu le sentiment qu’elle allait s’évanouir. » D’abord lointaine, Elisabeth devient fuyante, au point de disparaître de la vie de Marc sans autre explication. Pourquoi ne vient-elle plus le voir ? Elle ne répond même plus à ses messages. Pour Marc, ce n’est pas la première fois que le mystère frappe à la porte, comme le répète si justement le vieux Médard. Les nuages semblent arriver dans sa vie aussi rapidement que ceux qui s’amoncellent à l’horizon, laissant présager une fin d’année tourmentée. Et sur cette côte qui le fascine, il respire à pleins poumons les embruns venant du grand large qui « ont un tel goût de sel qu’ils accrochent aux narines ».
 
La tempête se déchaîne sur la côte et dans les esprits.
En proie à un profond désarroi, Marc est stupéfait de voir débarquer Martine, accompagnée d’une amie sénégalaise, Djamila.… Martine, qu’il n’a pas revue depuis une éternité et qui le renvoie immédiatement à un passé qu’il croyait enfoui. « Ils avaient gravé leurs prénoms dans une écorce d’arbre. S’étaient juré un amour éternel. Un jour, elle était “montée” à Paris et, peu à peu, avait cessé de donner de ses nouvelles. » Tout se bouscule dans la tête de Marc. La tempête, la pluie, l’orage, Elisabeth et maintenant Martine ! Décidément, Médard a raison, « les treize lunes ont tout gâché et chaque marée apporte son lot de surprises ». Treize lunes ou pas, cette année est des plus curieuses. Mais Martine n’est pas venue retrouver son amour de jeunesse. Elle est venue pour interroger les derniers témoins d’une époque révolue, que les jeunes n’ont pas connue, mais à laquelle les vieux, dont Médard et Elie, ont participé activement. Au décès de sa mère, Martine a découvert par hasard son journal intime, un vieux cahier jaune, dans lequel elle raconte la honte de toute une vie. Tondue à la Libération pour avoir aimé un soldat allemand, l’humiliation fut si grande qu’elle l’a brisée à tout jamais. « Un seul instant aura été nécessaire à Martine pour comprendre toute une vie de silence. D’absence. De résignation. De solitude. Elle réalisa pourquoi sa mère n’était jamais revenue sur cette côte qu’elle avait pourtant tant aimée. Le climat n’y était pour rien. Les nerfs non plus. » Bouleversée par le contenu du cahier jaune, Martine décide qu’elle doit savoir ce qui s’est passé. Et pour cela, elle est prête à se rendre sur place pour connaître les vrais coupables, pour leur dire en face l’horreur de leurs actes et qu’ils avaient, un matin d’automne, tué sa mère sans la faire mourir. Elle doit aussi comprendre pourquoi sa mère a été jugée si durement pour un acte d’amour, et surtout pourquoi personne n’est intervenu pour empêcher cette ignominie. Assise à une table dans le seul bar ouvert, devant Médard, Elie et Marc, Martine lit le cahier jaune… L’horreur plane. L’atmosphère s’alourdit. Dehors les éléments se déchaînent. Cette lecture réveille des souvenirs, des hontes, des douleurs et des peines, enfouis au plus profond des êtres. Car les souvenirs, même mauvais, ne s’effacent jamais. Ils s’installent au fond de la mémoire et ne demandent qu’à remonter. « Maintenant, la chair était à vif. Tout était plaie. Chez Martine, Médard, Elie, et même chez Pierrot, le patron du bar. Marc était désemparé. Elisabeth, revenue sans prévenir, se sentait de trop dans cette situation qui ne la concernait pas, et où elle avait mis les pieds sans le vouloir. »
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Etonnante tournure de l’histoire
Les enfants ont toujours besoin de comprendre, surtout quand on s’applique à leur dissimuler la vérité. Tous les jeunes gens présents dans cette histoire ont vécu leur enfance dans les secrets et les non-dits. A l’âge adulte, ils sont à la recherche de la vérité et du « pourquoi », tandis que les anciens se trouvent confrontés à leurs actes. Quelles que soient les années, avec ou sans treize lunes, un jour ou l’autre, on devient tous comptable de ses actes. Il y a comme cela des rendez-vous dans la vie auxquels on n’échappe pas, des moments qui surviennent et dont on s’abuse en croyant qu’ils arrivent par hasard. Il en est ainsi de cette rencontre dans ce petit bourg tranquille de la côte médocaine. Plus que n’importe quelle tempête Bernard Duporgemétéorologique, ce rendez-vous occasionnera de profonds dégâts. En trois jours, les jeunes gens auront compris que la vie n’est que ricochet. De Médard à Aline, de Médard à Flavius, et de Médard à Colette, le caillou ne cesse de rebondir. Chaque nouveau rond dans l’eau blesse quelqu’un et ravive une plaie. « Dans ce pays de landescot qui a sa part de mystère, dans ce pays de pins qui sent bon la résine, l’essence de térébenthine, dans ce pays de marées et de naufrageurs sympathiques, il peut aussi y avoir des secrets qui salissent le décor. » Bernard Duporge nous embarque dans un univers de coups fourrés et de passions dévastatrices qui apparaissent au grand jour par le jeu des ricochets de la vie. Cette solide chronique d’une époque troublée brise nombre de tabous et d’idées reçues. Par touches successives, l’auteur nous entraîne au coeur de la réalité des faits et de la vérité des êtres. Il marie habilement les ingrédients historiques, psychologiques et romanesques, pour nous décrire une page encore récente de l’Histoire, en dégager les zones d’ombre et de lumière si souvent imbriquées et surprenantes.
 
 
Bernard Duporge Musicien, auteur, compositeur et interprète, Bernard Duporge est né à Lacanau, sur la côte médocaine. Epris des mots et des sons, il rêve aussi d’écrire. Il commence par des poèmes, puis il se tourne très vite vers le roman, genre pour lequel il rencontre un vrai succès populaire, notamment avec Le Tambour de Lacanau (Lucien Souny, 2005), mais aussi Le Mal des marais (Lucien Souny, 2006), qui reçoit en 2007 le prix de l’Association régionale des universitaires aquitains. Son précédent roman, Les Silences de la sorcière (Lucien Souny, 2007) est déjà épuisé ! Très impliqué dans la vie locale, chroniqueur pour le journal Sud-Ouest, il régale chaque semaine des milliers de lecteurs avec « Les Humeurs de Duvallon ». Les chroniques des dix dernières années ont été rassemblées dans un ouvrage paru aux éditions Lacour.
 

Crédit Rédactionnel et photographique Editions Lucien Souny - Le Puy Fraud - 87260 Saint-Paul
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Photographie Carrelet : Micol33