... initié dans le cadre de la mission Stéphane Bern, les chantiers de"chefs-d’œuvre en péril "se révèlent bien plus nombreux qu’on ne le pense dans la région. Qu’ils soient engagés, financés ou soutenus par l'État, des collectivités, des associations, des start-up ou des propriétaires privés, les projets de restauration et de conservation ne se comptent plus.
Loin d’un regard nostalgique, ce numéro prône une position équilibrée entre sauvegarde à l’identique, réhabilitation, voire nécessaire destruction . Car il ne s'agit pas de sauvegarder par principe, de même qu'il ne s'agit pas de détruire à l'aveugle. De l’emblématique château, comme celui de La Mothe-Chandeniers (Vienne) qui compte désormais 27 910 propriétaires, aux constructions Art déco longtemps mal aimées, à l’image du Splendid Hôtel à Dax (Landes), sans oublier l’architecture moderne d’après-guerre, les petits patrimoines ruraux, les œuvres d’art dites « dégénérées » spoliées par les nazis ainsi que les savoir-faire ancestraux, ce nouveau numéro vous plonge au cœur de l’actualité de patrimoines bien vivants.
TOUTE LA MÉMOIRE DU MONDE par XAVIER ROSAN
L’année 2018 aura été marquée, en ce qui concerne les patrimoines bâtis, par l’initiative, décidée au plus haut niveau de l’État, de confier à l’animateur et producteur de télévision Stéphane Bern une mission destinée à « identifier le patrimoine en danger », à « sauver notre patrimoine » et à « valoriser » celui-ci1. Les attendus de cette démarche sont ambitieux et on ne peut qu’en louer le dessein. De fait, depuis le ministère de Jack Lang, inventeur des Journées, désormais européennes, du Patrimoine, ce domaine n’avait pas connu d’impulsion aussi puissante, ne serait-ce que dans les intentions. Reste à en vérifier à présent les actes, les outils et les moyens financiers mis à disposition. Pour l’instant, le loto du patrimoine s’est avéré un franc succès, un jeu de grattage devrait amplifier la collecte, tandis qu’un appel aux dons invite le public à opérer directement ses choix à partir d’une sélection de 269 projets, dont 18 dits « emblématiques ».
Il y avait urgence. Il y a toujours urgence. Non pas que la situation du patrimoine en France soit particulièrement sous-estimée par les pouvoirs publics, si on la compare à d’autres pays voisins à « haute valeur culturelle » comme l’Espagne, l’Italie ou la Grèce. Mais il est ici nombreux, dense, foisonnant, divers, réparti sur quelque 672 000 km2 (y compris les territoires ultramarins) dans le plus grand pays en superficie du continent. Il est un enjeu touristique et la France a conforté cette année sa position de leader mondial dans ce domaine. Il est aussi, et surtout, un des leviers – et en cela est par trop souvent négligé – de la cohésion des territoires.
En utilisant l’adjectif possessif pluriel « notre » dans l’argumentaire de présentation de la mission, les promoteurs de cette opération souhaitent prolonger et amplifier l’élan citoyen, qui, depuis déjà quelques années se distingue par des mobilisations contre des destructions ou des détériorations d’édifices, en faveur de financements participatifs. Une nouvelle ère du patrimoine semble se dessiner, dans la reconnaissance d’un héritage partagé et en adéquation avec la prise de conscience environnementale. Des pionniers-sauveurs du château de Bridoire en Dordogne aux zadistes de Notre-Dame-des-Landes, même combat ? Pourquoi pas.
Quoi qu’il en soit, le lancement de la mission Bern est l’occasion, pour le festin, engagé depuis trois décennies dans l’exploration « des patrimoines, des paysages et des créations » en Aquitaine, et désormais en Nouvelle-Aquitaine, d’opérer un arrêt sur images sur cette vaste matière, mouvante, issue du génie créatif humain et qui, par strates et vagues superposées, fait de notre région un formidable musée à ciel ouvert où les « chefs-d’œuvre en péril » (pour reprendre le titre d’une émission télé des années 1960-1970) se rangent heureusement de plus en plus au rayon des mauvais souvenirs du passé.
Chefs-d’œuvre ou pas, ils n’en restent pas moins menacés, ici ou là, par l’ignorance, l’indifférence, la négligence ou la malveillance. Sans tomber dans les excès du « conserver à tout prix » – car il faut bien que les cultures se renouvellent pour continuer à vivre, à se développer, à se reproduire –, il convient donc de veiller, d’alerter, de mobiliser le cas échéant. De fait, nous avons choisi de privilégier, dans les pages qui suivent, des histoires d’amour du patrimoine qui finissent plutôt bien, en général…
- missionbern.fr
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