Les trente années qui s’écoulent de la fin de la Seconde Guerre mondiale au choc pétrolier de 1973, communément appelées les Trente Glorieuses, sont synonymes d’une forte période de croissance économique, de retour au plein-emploi, d’amélioration des conditions de vie et d’un important essor démographique ; le baby-boom.
Le territoire connaît des changements économiques et sociaux majeurs. L’urgence est alors de loger, ou reloger, ceux qui ont tout perdu ou vivaient dans conditions insalubres, de créer et structurer des équipements publics dédiés aux sports, à la culture, au vivre-ensemble ou aux loisirs. Cette « révolution invisible », pour reprendre les mots de l’économiste Jean Fourastié, se double d’une production industrielle et d’une consommation à outrance. La société évolue profondément et tend même à se réinventer avec les épisodes de mai 1968. La scène artistique connaît elle aussi un nouvel essor, avec une diversification des supports et des approches techniques, de l’abstraction au pop art, ainsi qu’une démocratisation du design et de la mode.
Les grands sujets du festin N°107
L’INVITÉ
Pierre Ferret par Benoît Hermet
Issu d’une famille d'architectes bordelais, Pierre Ferret est diplômé dans les années 1970 et obtient le Grand Prix de Rome en 1975. Installé à Bordeaux, l’Atelier Ferret Architectures s’est depuis distingué dans la réalisation de stades, d’équipements sportifs ou culturels en France à travers le monde. Il s’engage également dans plusieurs chantiers de reconversion ou de restructuration de réalisations héritées des Trente Glorieuses, du Palais des Congrès à Royan (réalisé par son père, Claude Ferret) au Palais des Sports ou la Piscine Galin à Bordeaux.
SOCIÉTÉ
Photographes de la Reconstruction [Nouvelle-Aquitaine] par Didier Mouchel
Au lendemain de la Libération, le ministère de la Reconstruction et de l’urbanisme (MRU), voit le jour. En son sein, un service photographique est composé afin de réaliser le suivi des chantiers sur l’ensemble du territoire national. Entre la fin des années 1940 et le début des années 1960, quatre photographes (André-Louis Guillaume, Henri Salesse, Pierre Mounier et Lucien Hervé, célèbre photographe et collaborateur de Le Corbusier) immortalisent les chantiers de reconstruction à Angoulême, Cognac, Bordeaux, La Rochelle, Royan, Pau et Mont-de-Marsan.
Royan sous les tropiques [Charente Maritime] par Charlotte de Charette
Bombardée à deux reprises lors de la Libération en 1945, Royan est détruite à plus de 80 %. La célèbre cité balnéaire est à reconstruire. Claude Ferret, architecte en chef de la reconstruction de Royan engage alors un surprenant changement stylistique. Alors que les premiers plans de la ville affichaient une esthétique massive et imposante héritée des dogmes d’un art déco académique, la ville mise en chantier sera brésilienne, fortement influencée par la production d’Oscar Niemeyer. Tant par ses formes que par ses couleurs.
HABITER
Habitats remarquables des Trente glorieuses [Nouvelle-Aquitaine] par Delphine Costedoat
De l’habitat individuel à l’habitat collectif, les Trente Glorieuses renouvellent notre rapport à la maison, la villa, la résidence ou l’immeuble. Détours dans neuf d’entre eux à Dax avec la maison atelier Guichemerre, à Royan et la villa Boomerang, à Bergerac et la maison Pic, à Marmande avec la maison de l’étoile rouge, à Bordeaux avec le quartier Grand Parc et l'étonnante maison Pic, à Gabaston avec la maison d’Edmond Lay, à Bayonne et la cité Breuer et à Talence et le Hameau de Noailles.
De la nostalgie à l'action : le Pays Basque dans la modernité [Pays Basque] par Jacques Battesti
Plongée dans les collections du Musée Basque et de l'histoire de Bayonne au cœur de ces trente glorieuses décisives dans la définition d’une identité basque.
DE NOUVEAUX ÉQUIPEMENTS
Les 1 000 piscines et clubs de jeunes [Dordogne] par Marc Saboya
Les années 1960 sont marquées par le lancement de programme de constructions d’équipements culturels et de loisirs dont les 1 000 piscines et les 1 000 clubs de jeunes. En Nouvelle-Aquitaine plusieurs dizaines de piscines, dont la célèbre piscine Tournesol de l’architecte Bernard Schoeller, et clubs de jeunes voient le jour selon des modèles architecturaux standardisés et préfabriqués.
Un Palais des Fêtes à Périgueux [Dordogne] par Martine Balout
Inauguré en septembre 1961, le Palais des Fêtes de Périgueux s’affiche comme l’équipement moderne tant attendu par la Ville et ses habitants. Dédié aux spectacles, cet édifice est conçu comme un lieu de rencontre et de vie. À l’origine de l’aménagement de tout un quartier et de plusieurs ensembles d’habitation, le Palais des Fêtes de Périgueux cristallise à lui seul les ambitions des Trente Glorieuses.
Construire pour éclairer : le barrage de Vassivière [Haute-Vienne] par Céline Finet
L’aménagement du territoire au lendemain de la Seconde Guerre mondiale se traduit aussi par la construction de site de production d’énergie. En 1949, le barrage de Vassivière est achevé, l’usine hydraulique qui lui est liée sera mise en activité trois ans plus tard. Une réalisation architecturale imposante qui illustre à merveille l’usage du matériau de la modernité : le béton armé, au service des ingénieurs et architectes.
CRÉATION ARTISTIQUE
André Courrèges en droites lignes [Béarn] par Roseline Giusti
Au début des années 60, André Courrèges fonde sa maison de couture et connaît dès 1964 une reconnaissance mondiale avec sa collection futuriste inspirée de la conquête de l’espace. De la mini-jupe aux blousons en vinyle sans oublier la petite robe blanche, retour sur la vie et les révolutions d’André Courrèges.
Pierre Molinier ou le souffle du merveilleux [Gironde] par Françoise Garcia
En marge du surréalisme, Pierre Molinier se consacre aux photomontages dans les années 1950 et 1960. Ses mises en scène de corps féminins, travestis et nus expriment son culte de l'androgynie et son fétichisme des jambes.
Pierre Théron [Lot-et-Garonne] par Jacques Sargos
Né en 1918 à Nérac, dans le Lot-et-Garonne, il se classe premier au concours d'entrée des Beaux-Arts de Paris en 1942. Il suit notamment les cours d'André Lhote. Le célèbre cubiste aura sur lui une influence majeure. Contraint de se replier dans le Tarn sous le régime de Vichy, il reviendra ensuite à Paris où il fréquentera le milieu des existentialistes.
Paule Marrot. Que la couleur soit ! [Gironde] par Constance Rubini
Peintre et décoratrice bordelaise, Paule Marrot est à l'origine de l’introduction de la couleur dans l'industrie automobile, avec la création d'un premier nuancier chromatique emblématique pour la Dauphine. Mise à l’honneur lors de l’exposition Oh couleurs ! au musée des arts décoratifs et du design de Bordeaux en 2017, cet article abordera son parcours chez Renault et son apport dans le design, désormais coloré, des automobiles.
ET AUSSI
- Bulles de salon : Alexandre Clérisse, retour vers le rétro futur.
- Secrets de cuisine : Haraneko Borda, pour une agriculture du vivant.
- Toute l'actualité culturelle et patrimoniale en Nouvelle-Aquitaine.
CES ANNÉES-LÀ…
Edito par XAVIER ROSAN
Cette année 2018 aura été marquée par les « célébrations » de Mai 68, pour le moins discrètes, souvent controversées. Si les historiens et sociologues ont souligné l’essentialité disruptive de ces événements dont l’acmé se situe en ce fameux printemps, les médias généralistes, de nombreux politiques et, grosso modo, l’opinion publique ont eu tendance à « relativiser ». Force est pourtant de constater qu’il y eut un avant et un après, tout particulièrement – mais pas seulement – en matière d’avancées sociétales. Point de fête nationale, de défilés en mémoire du Grand Soir, de bals ni de flonflons.
Pour notre part, nous avons fait le choix, au Festin, de nous intéresser à cette période intitulée familièrement les « Trente Glorieuses », dont Mai 68 constitue sans doute la dernière étape importante avant le choc pétrolier de 1973. Tandis que le vent de liberté initié cinq ans plus tôt continuera de se poursuivre au-delà (abaissement de la majorité civile à 18 ans, loi Veil relative à l’interruption volontaire de grossesse), la brutalité de la déflagration économique entraînera le monde occidental dans une crise sans précédent. Ce temps des Trente Glorieuses (l’expression est de l’économiste Jean Fourastié), selon la définition officielle, désigne donc cette période de prospérité exceptionnelle qui débute au tout lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, et s’arrête en 1973 : croissance, prospérité, pouvoir d’achat, baby-boom, consommation de masse, tout-automobile en sont les maîtres mots.
La chronologie que nous proposons en ouverture de ce dossier prend volontairement en compte les trois décennies « pleines » 1950, 1960, 1970, dans le sens où elles résonnent comme des strates historiques, des étapes culturelles qui s’affranchissent, comme dans la vie même des Français de l’époque, des canevas officiels (l’exemple de la reconstruction de Royan faisant notamment le lien entre le désastre de 39-45 et l’espoir qui s’ensuivit aussitôt). On a moins vécu les Trente Glorieuses que « ces années-là », de même que les effets du crash pétrolier se firent ressentir avec un léger contretemps dans la vie des gens. La décennie 1980 se construira d’ailleurs, à bien des égards, dans une certaine opposition (laquelle ne fera que s’accroître, jusqu’à aujourd’hui).
Le sommaire de ce numéro a donc été bâti comme l’album d’une époque « héroïque », dont la reprise des puissants canons avant-gardistes de l’entre-deux-guerres dans l’art, l’architecture – avec leurs nécessaires répercussions dans la société – n’est pas une des moindres caractéristiques. La création et le patrimoine sont les fils conducteurs de ce numéro : un choix qui montre que nous ne tendons pas à l’exhaustivité en la matière. Mais pour la première fois, ce fil essentiel, qui joint l’utile à l’imagination, est retenu pour brosser le portrait d’une Nouvelle-Aquitaine qui ne portait pas encore son nom durant cette période charnière, moins homogène qu’il n’y paraît et riche d’un foisonnement d’expressions insoupçonnées, en Aquitaine, en Limousin, en Poitou-Charentes.
À l’heure où nous bouclons ce numéro, nous apprenons la mort de l’écrivain Michel Suffran (1931-2018). Lot-et-Garonnais d’origine, Bordelais de naissance, de corps et d’âme, il vécut, de tout temps, poussé par une curiosité insatiable, par et pour la littérature. Non seulement il rendit hommage et redécouvrit nombre de ses brillants prédécesseurs (notamment autour de la figure de François Mauriac) mais il composa une œuvre littéraire abondante, très originale, documentée et poétique. Nous aurons l’occasion de revenir sur cette personnalité attachante et de premier plan dans une prochaine édition.
Publication Septembre 2018 / ISBN : 978-2-36062-204-7
http://lefestin.net/