Au sommaire du numéro 99
Aux portes de Pau, la superbe villa Hutton donne à voir à nouveau, grâce aux efforts de ses actuels résidents, l’excentricité so british qui marqua la ville à jamais. À Bordeaux, une implication similaire vaut à la Villa 88 de perpétuer une tradition réceptive séculaire, dédiant de nos jours ses superbes salons néoclassiques aux échanges culturels.
La capitale girondine, connue pour sa minéralité, recèle paradoxalement d’îlots de verdure en retrait de la rue : visite de charmants jardins d’échoppes cachés à la vue des passants. À l’occasion du récent classement au patrimoine mondial de l’Unesco de la Cité Frugès, Marc Saboya revient sur ce site exceptionnel imaginé par Henri Frugès et Le Corbusier en 1926.
Dans un hôtel particulier de Saint-Sever dans les Landes, de fabuleux décors de papier peint sont révélés par les historiens, témoignant d’une technique et d’un art de vivre oubliés. Une autre découverte, tout aussi inédite, démêle les origines et la raison d’être d’une incroyable villa de style palladien, en pleine Dordogne : son auteur n’est autre qu’un architecte connu du Tout-Paris au XVIIIe siècle, injustement disparu des registres historiques.
Place ensuite à la découverte d’une folie charentaise, ou plutôt anglo-normande : cette belle anomalie architecturale est due à la volonté d’une épouse Martell, qui fit transformer la maison forte préexistante selon les canons esthétiques de sa région d’origine, édifice qui accueille aujourd’hui certains clients de la célèbre maison de cognacs. Dans le département voisin, villas opulentes et maisons en série de deux faubourgs résidentiels de La Rochelle sont analysées à la loupe pour ce qu’elles disent du développement de la cité portuaire.
De l’autre côté du prisme architectural, l’ultracontemporain se niche en pleine nature : visite de six villas respectueuses du patrimoine bâti et paysager du Lot-et-Garonne. Enfin, le festin interroge la question du style basque à travers le temps et, par là même, le renouvellement du champ de la création contemporaine dans la région.
HAVRES DE PAIX, l'édito de XAVIER ROSAN
« Le moi [...] n’est pas seulement maître dans sa propre maison. » Freud, Introduction à la psychanalyse.
« Une maison est une machine à habiter », proclame Charles-Édouard Jeanneret, dit Le Corbusier, en 1923 dans son ouvrage-référence Vers une architecture. Si la villa Savoye (1928-1931), à Poissy, apparaît comme l’édificemanifeste de cette conception fonctionnaliste de l’architecture, illustration parfaite de la théorie « des cinq points » développée par « le maître de la modernité » (pilotis, toit-terrasse, plan libre, fenêtre en bandeau, façade libre), l’ensemble de la Cité Frugès, à Pessac (Gironde), s’affirme comme un « laboratoire » (dès 1924, dans la suite immédiate du lotissement de Lège-Cap-Ferret), illustrant à merveille sa théorie : « Une maison [doit être] comme une auto, conçue et agencée comme un omnibus ou une cabine de navire. Il ne faut pas avoir honte d’habiter une maison sans comble pointu, de posséder des murs lisses comme des feuilles de tôle, des fenêtres semblables aux châssis des usines.
Mais ce dont on peut être fier, c’est d’avoir une maison pratique comme sa machine à écrire. » À l’heure où l’Unesco vient d’inscrire sur la liste du patrimoine de l’humanité 17 sites signés du maître suisse naturalisé français, l’ensemble pessacais, inclus dans ce classement prestigieux quelque neuf décennies après sa réalisation, se présente aujourd’hui à la fois dans la pureté de sa conception et travaillé par la patine du temps et la ré-interprétation qu’en ont livrée ses habitants successifs. Si bien qu’aujourd’hui, la « machine à habiter » s’est muée en « machine à rêver ». Qu’est-ce qu’un rêve, sinon une suite d’images, de représentations qui traversent l’esprit, avec la caractéristique d’une conscience illusoire, que l’on soit sous le règne de Morphée ou bien éveillé.
Une « maison de rêves » représente donc en quelque sorte une habitation idéale où le fonctionnalisme, sous-jacent, laisse le pas à la notion, toute subjective, de plaisir. Loin des tracas du « propriétaire des clés », le visiteur, le spectateur, le lecteur (en l’occurrence) s’imagine, pour un ou des instants à durée parfois illimitée, comme le bénéficiaire tout-puissant du lieu, qui devient son lieu, son propre intérieur. Il en sera sans doute ainsi des quelques exemples que nous avons retenus pour ce numéro du festin dédié à l’habitation, à la demeure, au foyer. Chacun a son histoire propre, parfois étonnante, un décor, un cadre qui lui siéent. Art déco enchanteur d’une villa en périphérie bordelaise, majestueuse villa palladienne juchée en bord de Vézère, villa so british exhalant les charmes du Pau Hunt en Béarn, mais aussi échoppes paysagères et résidences ultracontemporaines en pleine nature lot-et-garonnaise, la « maison des rêves » peut aussi bien prendre les atours du château féerique que du sam’suffit ou du do-mi-si-la-do-ré. Il existe autant de rêves que de maisons, et inversement.
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