Pour son premier long-métrage en tant que réalisateur, Guillaume Gouix ne fait pas dans la facilité. C’est sur la thématique du deuil qu’il débute Amore Mio, soutenu dès les premières scènes par le duo composé par Alysson Paradis et Élodie Bouchez.
« Amore Mio » est un road movie féminin de Guillaume Gouix, produit par Agat Films et distribué par Urban Distribution. Ce film a bénéficié d’une subvention de la Région Nouvelle-Aquitaine de 180 000 euros en 2020 au titre de l’aide à la production.
Le tournage itinérant en Nouvelle-Aquitaine a débuté en août 2021 en Charente à Barbezieux-Saint-Hilaire. L’équipe du film a ensuite sillonné la campagne charentaise puis limousine.
Des scènes ont en effet été tournées en Haute-Vienne notamment dans la commune de Cognac-la-Forêt, ou encore dans un motel près de l’aéroport de Limoges-Bellegrade, à Cussac, puis dans la ville de Limoges dans un appartement particulier près de la Place de la République ou encore au Château de Ligoure à Saint-Priest-Ligoure. Le tournage s’est ensuite poursuivi en Sardaigne en Italie.
« Amore Mio » a été sélection au dernier festival du film francophone d’Angoulême, au festival international du film de La Roche-sur-Yon, à l’Arras film festival et aux Arcs film festival. Ce long métrage a obtenu le prix du jury jeune au festival international du film de Saint-Jean-de-Luz.
Synopsis
Lola refuse d’assister à l’enterrement de l’homme qu’elle aime. Elle convainc Margaux, sa sœur, de les emmener, elle et son fils, loin de la cérémonie. Sur la route qui les mènera vers l’Italie, elles découvrent les adultes qu’elles sont devenues et tentent de retrouver la complicité des enfants qu’elles étaient.
Avec Alysson Paradis, Elodie Bouchez, Viggo Ferreira-Redier et Félix Maritaud.
Entretien avec Guillaume Gouix réalisé par Ava Cahen
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire le portrait d’une jeune femme endeuillée ?
J’ai toujours aimé les héros de cinéma qui osent faire ce qu’on ne fait jamais à cause des conventions et des codes sociaux qu’on nous impose ou qu’on s’impose nous-même. J’aime les héros qui disent « merde ». Quand on vit un deuil, on peut avoir envie de dire « merde » à ces conventions, à ce que les autres attendent de nous en tant qu’endeuillé, comme si on avait un rôle à endosser. Le personnage de Lola n’a pas envie de respecter le protocole. Elle ne sait pas quoi faire de sa colère et de sa peine. J’avais envie de raconter cette femme qui veut gérer le deuil de son compagnon à sa manière et s’enfuit le jour de ses obsèques avec son fils et sa sœur.
J’aime profondément les films de Doillon, de Cassavetes ou de Skolimowski parce que dans leurs films,
précisément, le sujet c’est les gens, c’est l’humain. Ce qui me passionne, c’est de voir comment se fabrique du cinéma en mettant la loupe sur les petites choses de la vie. J’avais envie d’un récit simple pour AMOREMIO : une ligne claire, des sentiments et des couleurs. J’avais envie de raconter comment malgré un deuil, la vie peut encore déborder.
Vous n’avez pas voulu faire un mélo mais un road-movie. Qu’est-ce qui vous attire dans ce genre ?
Je voulais faire un film sur le deuil qui ne soit pas morbide mais plutôt du côté de la vie. Un film qui va chercher une énergie, insolente, lumineuse. Lola est en deuil mais elle porte des chemises à fleurs et cherche le soleil, et dehors et dedans, et Margaux, elle, profite de cet élan pour sortir de son quotidien. On a favorisé les tons chauds et utilisé le format 1.33 pour le film. D’ordinaire, on imagine les road-trips en scope. En tant que spectateur, on a en tête ces plans de routes et de grandes étendues. On a voulu prendre le contre-pied de ça : que les visages deviennent les paysages qui nous font ressentir un voyage. On ne devait pas voir le contour. Il fallait être radical si je voulais qu’on ne lâche jamais ces actrices et ce jeune acteur, qu’on les enferme, qu’on sente leurs souffles.
A vos côtés, au scénario, on retrouve Fanny Burdino et Camille Lugan. Comment avez-vous été amené à travailler ensemble ?
J’aime les films qu’elles ont écrits, des courts comme des longs métrages. Elles ont l’habitude de travailler ensemble. Les personnages de mon film sont des personnages féminins, je les souhaitais fortes et complexes et je trouvais ça naturel de travailler le scénario avec Fanny et Camille, d’avoir leurs points de vue de scénaristes et de femmes sur les personnages, et pas seulement le mien. Elles m’ont vraiment aidé à structurer mon scénario et ma pensée.
Le scénario a-t-il évolué au tournage ?
Pas vraiment. On lui est resté très fidèle pendant le tournage. Il n’y a pas eu d’improvisation. Tout était écrit, mais il y avait en revanche mille façons de le jouer. Alysson et Élodie ont trouvé la leur. Elles jouent de façon très réaliste, dans un cadre qui se permet parfois un peu de lyrisme. L’idée était qu’elles aient la liberté de jouer avec les sentiments qui les traversaient, de chercher les accidents et la vie. Elles ne fabriquent pas des émotions, mais en revanche, elles forment un duo qui, je l’espère, en procure. La direction d’acteurs, pour moi, c’est surtout savoir leur donner confiance. Il me tenait à cœur de créer un climat où leur duo pouvait s’épanouir au tournage.
Aviez-vous déjà en tête Alysson et Élodie au moment de l’écriture ?
Oui, Alysson dès la première page. Il se dégage d’elle un truc assez sauvage, un mélange atypique de féminité et de mauvais garçon. J’adore ça, chez elle. En tant qu’actrice, son jeu et son allure m’ont toujours inspiré quelque chose du cinéma de Gus Van Sant et de ses personnages écorchés mais vivants. Lola n’est pas un personnage qui végète, elle veut rouler, elle n’a pas envie qu’on lui pleure dans les bras, elle n’a pas envie qu’on la regarde avec pitié. Elle est libre, mais de manière un peu surprenante avec ce que ça comporte d’égoïsme, surtout envers son enfant. Alysson correspondait complètement à ce que j’avais en tête pour le personnage de Lola : un peu insolent, haut en couleur. Un tempérament très différent de celui du personnage de Margaux en « apparence » plus classique. Pour l’incarner, Elodie Bouchez m’est apparue comme une évidence une fois le scenario terminé. C’est une actrice que j ai toujours admirée. Élodie a cette grâce, ce sourire et cet humour qui contrastait avec ce que l’on pouvait lire du personnage. J’adorais aussi l’idée qu’elle porte en elle les rôles marquants qu’elle a joués.
Deux sœurs qu’on n’a pas de mal à imaginer fusionnelles enfants, mais qui se sont un peu perdues de vue à l’âge adulte…
Ces deux sœurs vont, pendant le film, se découvrir en tant qu’adultes, elles n’ont ensemble que des réflexes d’enfants. Elles vont briser les places qu’on prédéfinit tous dans les familles, changer de point de vue, se voir à travers un autre prisme. J’ai adoré regarder ces deux actrices jouer ensemble, accompagnées de Viggo Ferreira-Redier, cet enfant acteur si poétique. J’ai adoré car il me semble que leurs différences et leur joie de jouer ensemble ont créé l’harmonie exacte que je voulais pour cette histoire.
Vous aviez des références picturales ou cinémato- graphiques en tête ?
J’avais en tête des photos de Nan Goldin par exemple la manière de montrer la peau, de l’éclairer. Élodie et Alysson étaient très peu maquillées, on voit leur grain de peau. Il y a parfois sur elles comme un effet flash dû à l’arrière-plan plus assombri. Le film a un côté un peu punk dans la manière dont il s’est construit, il a d’ailleurs été fait avec cet état d’esprit jusqu’à l’étalonnage et au mixage son. Il devait y avoir une sensation de liberté, un geste.
Comment s’est passée votre collaboration avec Noé Bach, le chef opérateur ?
Je n’ai pas fait d’école de cinéma, je tourne comme acteur depuis que j’ai 15 ans. Mon rapport au cinéma est très instinctif. Noé Bach fait partie des meilleurs chefs opérateurs de sa génération. C’est un perfectionniste, quelqu’un de très technique qui a un vrai sens du cadre et du plan. Il a dû accepter de lâcher prise sur ce film, peut-être parce que j’ai d’autres méthodes de tournage, sans doute moins conventionnelles. Ce qui comptait pour moi, c’était que la caméra suive les actrices et les acteurs. C’est un film qui repose sur quelque chose de ténu, alors il ne peut supporter que l’authenticité. Je voulais qu’on soit proche des personnages, qu’on les regarde, qu’on vive à leurs côtés et qu’on ait envie de les embrasser à la fin. Je voulais qu’Alysson, Élodie et Viggo se sentent libres de faire ce qu’ils voulaient, de bouger comme ils avaient envie de bouger dans l’espace, de laisser venir les rires, les gestes et les cris, et que la caméra soit toujours à leur service, mais sans perdre nos envies esthétiques. Parfois au cinéma ce qui n’est pas prévu devient gracieux.
Les accidents quand on les accepte, quand ce qui se construit se construit avec le moment présent du tournage, ça m’anime, ça me touche.
La musique participe aussi au voyage…
Oui, elle est pop, lumineuse. Il y a quelques morceaux de Coming Soon, qui est un groupe que j’adore. On entend aussi une chanson chantée en italien par Vanessa Paradis, qui sonne un peu « vacances ». Je trouvais ça beau de faire un plan sur le visage d’Alysson qui écoute cette chanson. On s’en est amusé. Un premier film c’est aussi avoir la chance de rendre hommage aux artistes que l’on aime. On a mis un tableau d’Inès Longevial, artiste que j’aime beaucoup, dans un décor par exemple, toujours dans cette notion un peu naïve, de joie de fabriquer un film en troupe avec à chaque poste des gens qui emmènent leur propre talent. Puis, surtout la musique originale est composée par Alban Claudin qui joue ce mélange de piano et d’électro divinement. À l’arrivée, c’est un film assez musical. La musique n’appuie pas sur les émotions, elle suit plutôt le mouvement des personnages je crois. Avec Alban on était d’accord dès le scénario : il fallait qu’une « mélancolie joyeuse » se dégage du film, il fallait que cela bouge, que Alban nous aide à créer toujours du mouvement. Et j’aimais déjà beaucoup ça dans ses albums.