Le vocable "spectacle vivant" désigne l'ensemble des spectacles "produits ou diffusés par des personnes qui, en vue de la représentation en public d'une œuvre de l'esprit, s'assurent la présence physique d'au moins un artiste du spectacle".
Par une lettre écrite le 14 mai dernier, Catherine Marnas, metteuse en scène, directrice du TnBA et de l’éstba questionne sur la vitalité du Spectacle Vivant alors qu’une crise sanitaire oblige à mettre ce dernier en veille depuis déjà deux mois.
"Et bien décidément non : la crise que nous traversons n’a pas de vertu. Nous nous serions volontiers passés de cet arrêt plus paralysant que productif. Qui peut croire que nous avions besoin de cette « punition » pour nous interroger sur notre nécessité. Indispensables nous le sommes et en sommes persuadés, sinon nous ne nous battrions pas pouce à pouce pour défendre notre croyance : celle que la vie peut être changée par cette chose miraculeuse et archaïque qui s’appelle le théâtre ; je pourrais tout aussi bien dire l’Art, je parle de théâtre car c’est la voie collective qui m’a éblouie.
On peut voir sa vie changée en entendant pour la première fois le Requiem de Mozart. Moi en tous cas c’est un argument que je reprends souvent pour dire que notre espèce ne mérite pas de disparaitre.
On peut, comme Stendhal, avoir un malaise physique devant la beauté d’une peinture.
Et on peut, aussi, être émerveillés de ces cérémonies païennes que le spectacle vivant nous propose.
Miracle fragile, miracle incertain mais si fort dans sa fragilité. Respirer au rythme de la chair présente sur scène, soumise à la respiration commune de la salle. Cette
osmose, chaque soir remise en cause, chaque soir nous rappelant à cet équilibre entre salle et scène, ce pacte, réussi ou raté, comme les numéros de cirque : va-t-il tomber ?
Ce frémissement, ces ondes parcourant le public sont les bases d’une chose miraculeuse/ ici et maintenant, vous à côté de moi, nous en face de vous, jouons une tauromachie sans sacrifice. Pas besoin de sang ou de mort réels pour que s’accomplisse la communion. Terme religieux peut-être ; sacré en tous cas.
Quel miracle (encore un terme religieux mais ne laissons pas le sacré aux seules religions) que cette convocation nous invite à une cérémonie : le fait de jouer et de rejouer à l’infini le mystère de notre humanité et de notre condition.
Nous seuls (jusqu’à preuve du contraire) dans l’univers, naissons avec cette angoisse existentielle : nous savons que nous allons mourir et ne connaissons pas la raison de notre passage sur terre.
Sujet d’angoisse s’il en est, raison des pleurs des bébés quand la nuit tombe et qu’il faut dormir : « dormir ? Rêver peut-être ? »
Hamlet dit à voix haute nos angoisses et ce faisant nous aide à les surmonter,
COLLECTIVEMENT. Oui, et c’est ce collectif qui fait notre différence avec la littérature (si précieuse), l’Art pictural (indispensable), la musique (métaphore en soi et origine d’émotions qui fondent notre humanité).
Mais cette cérémonie collective, ce frémissement commun, ces frictions même parfois que je juge salutaires (n’est-il pas incroyable que nous soyons prêts à nous battre pour un spectacle que certains ont adoré et d’autres détesté ?) n’ont pas de prix. Ou plutôt si, c’est le prix de notre humanité en mouvement, vivante parce que changeante. Vivante parce qu’en questionnement. Vivante parce que, en admettant qu’un seul spectateur voie sa vie changée par ce qu’il vient de voir ; alors cela valait la peine.
Je me souviens d’où est née mon admiration pour Antoine Vitez. Jeune étudiante, je suis allée voir l’intégrale de Hamlet à Chaillot. Quand je suis sortie, il avait neigé, je me suis
retrouvée, immobile sur la place du Trocadéro et j’ai eu l’impression de découvrir un monde que je ne connaissais pas : une autre planète ; pas à cause de la neige mais à cause de ce que je venais de vivre, sur un plateau de théâtre : une ouverture aux autres dimensions du monde, une ouverture au mystère et à la beauté dont notre humanité était capable.
Alors quelle serait la vertu d’être privés de ces occasions précieuses. Peut-être, en étant optimiste, un électrochoc pour que nous n’oublions pas l’inversion temporaire des valeurs que nous venons de vivre : les invisibles sont devenus essentiels. L’essentiel n’a plus été enfoui sous un quotidien surchargé de faux problèmes. Bref, stopper pour stopper, saurons-nous arrêter le train qui nous conduit dans le mur ?"
Catherine Marnas
Détentrice d’une maîtrise de Lettres Modernes et d’un D.E.A. de Sémiologie Théâtrale, Catherine Marnas s’est formée à la mise en scène auprès de deux grands noms du théâtre contemporain : Antoine Vitez (1983-1984) et Georges Lavaudant (1987-1994).
En parallèle, elle fonde en 1986 avec Claude Poinas la Compagnie Parnas dédiée presque exclusivement au répertoire contemporain. Animée par un souci constant de travailler une matière toujours en prise avec le monde, elle s’attache à faire entendre l’écriture d’auteurs comme Roland Dubillard, Copi, Max Frisch, Olivier Py, Pier Paolo Pasolini, Jacques Rebotier...Quelques classiques jalonnent néanmoins son parcours tels Brecht, Molière, Shakespeare, Tchekhov. Elle met en scène en France et à l’étranger plusieurs textes de son auteur fétiche Bernard-Marie Koltès, ouvrant de nouvelles perspectives dans l’œuvre de l’auteur. Sa volonté de confronter son théâtre à l’altérité, son goût des croisements, la curiosité du frottement avec d’autres cultures l’a régulièrement emmenée dans de nombreuses aventures à l’étranger en Amérique latine et en Asie. Elle s’appuie sur une troupe de comédiens permanents rejoints par d’autres compagnons fidèles comme le scénographe, la costumière, le créateur son…
Depuis son entrée dans le théâtre, Catherine Marnas a toujours conjugué création, direction, transmission et formation de l’acteur. Elle a été professeure d’interprétation au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris de 1998 à 2001 et a enseigné à l’École Régionale d’Acteurs de Cannes. C’est aujourd’hui avec les élèves-comédiens de l’École supérieure de théâtre Bordeaux Aquitaine (Éstba) que se poursuit cette quête d’une formation d’excellence. De 1994 à 2012, Catherine Marnas a été artiste associée à La passerelle-scène nationale de Gap et des Alpes du Sud - et de 2005 à 2012 aux Salins -scène nationale de Martigues.
En 2013, la Ville de Marseille lui a confié la direction artistique du pôle théâtre de la Friche la Belle de Mai. Elle est directrice du TnBA - Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine et de l’Éstba – École supérieure de théâtre Bordeaux Aquitaine, depuis janvier 2014. C’est avec ardeur qu’elle y revendique un théâtre « populaire et généreux ! » où la représentation théâtrale se conçoit comme un acte de la pensée et source de plaisir.
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Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine |