Lionel Poitevin, directeur régional de l’ADEME Nouvelle-Aquitaine, se propose de repositionner le débat autour d’une notion fondamentale : la sobriété. Un tour d’horizon en 5 questions-réponses !
Crédit Kate Raworth
1. Comment définiriez-vous la sobriété ?
Lionel Poitevin. Dans un contexte où les ressources naturelles sont limitées, la sobriété, c’est la capacité à nous interroger d’une part sur nos besoins, d’autre part sur la manière de les satisfaire en limitant notre impact sur l’environnement. À la différence de l’efficacité qui met en œuvre des solutions techniques, la sobriété repose sur des solutions comportementales. Ces deux approches sont donc complémentaires. Pour expliquer la sobriété, on prend souvent l’image du « Donut », avec à l’extérieur les comportements qui dégradent l’environnement et au centre une situation de privation critique. Entre les deux se situent les comportements équilibrés qui nous permettent de répondre à nos besoins d’une manière juste et sûre.
C’est cet espace qu’il faut atteindre. Et pour cela, il convient de redéfinir une vision globale de la production, de la consommation et même de nos modes de vie, que ce soit à l’échelle d’un individu, d’un foyer, d’une collectivité ou plus largement d’une société.
2. La sobriété n’est-elle pas seulement une réflexion intellectuelle et théorique ?
LP. À la base, il y a indéniablement une réflexion. Elle peut être individuelle et résulter de convictions personnelles, d’une prise de conscience ou d’un désir de changement. Elle peut également être collective et s’inviter dans l’espace public. Pour autant, le concept de sobriété a une vraie portée opérationnelle. Ce n’est pas une idéologie, c’est une méthode ! La sobriété permet de reprendre en main sa consommation, de se concentrer sur ce que chacun.e perçoit comme essentiel, de redonner du sens à ses achats, à son mode de vie.
Du coup, les motivations et les bénéfices peuvent être d’ordre financier, avec un objectif de réaliser des économies. Ils peuvent aussi être d’ordre social, avec des objectifs en termes de santé, de qualité de vie ou de liens avec les autres.
3. La sobriété est-elle possible dans tous les domaines?
LP. Tout le monde, à sa mesure, peut décider d’être plus sobre dans une multitude de domaines : les transports, l’énergie, l’eau, les biens de consommation, le logement, les équipements ménagers, etc. Et quel que soit le domaine, la sobriété est une démarche qui peut se mettre en place avec 4 paliers de progression. Pour illustrer cette méthode, je vais prendre l’exemple de l’alimentation.
Le premier palier consiste à identifier et se débarrasser de ses mauvaises habitudes : manger trop de viande et de charcuterie, acheter des produits qui viennent de loin ou sont hors saison, jeter les surplus... Le deuxième palier, à l’inverse, consiste à identifier les bonnes pratiques et à commencer à les appliquer : privilégier les produits locaux, biologiques et issus de circuits courts, acheter en vrac, cuisiner soi-même... Au troisième pilier, on va systématiser et compléter ces bonnes pratiques : rédiger une liste de courses pour résister aux achats impulsifs, utiliser ses propres contenants, s’inscrire dans une AMAP*... Au final, le quatrième pilier permet de ne consommer que ce dont on a réellement besoin, avec des quantités raisonnées et adaptées, un approvisionnement de qualité et de proximité, et si possible aucune transformation industrielle.
4. La sobriété nuit-elle aux entreprises ?
LP. Elle n’est pas nuisible, même s’il est vrai qu’elle porte un coup au modèle historique de production et de développement qui se mesure traditionnellement en volumes. A l’ADEME, on considère que la sobriété est plutôt une opportunité pour anticiper les évolutions des clients et des consommateurs. Les entreprises sont ainsi invitées à repenser leur modèle dans leur ensemble, qu’il s’agisse de conception, d’innovation, de production et de commercialisation. C’est d’ailleurs tout le défi de l’économie de la fonctionnalité que nous promouvons et accompagnons.
J’ajoute que certains acteurs économiques, et ils sont de plus en plus nombreux, se sont déjà engagés avec succès dans ces nouveaux modèles. Prenez le cas de Michelin : dans sa composante poids lourds, ce ne sont plus des pneumatiques qui ont vocation à être commercialisés, mais des kilomètres parcourus. On passe de l’objet à l’usage, et cette nouvelle offre de service est beaucoup plus vertueuse.
5. Quels seraient vos conseils pour que nous devenions plus sobres ?
LP. On peut devenir plus sobres par nécessité car nous sommes sur une planète dont les ressources ne sont pas illimitées et le risque de pénurie existe. Mais il s’agirait alors d’une sobriété forcée, non désirée. A l’inverse, on peut s’inscrire dans une démarche volontaire et responsable. Il existe une abondante littérature philosophique, économique et scientifique sur le sujet. C’est une bonne source d’inspiration pour comprendre ces démarches. On peut aussi avoir le souci de mieux faire et surtout de mieux vivre, et dans ce cas la sobriété n’est pas une contrainte mais une liberté choisie. Et pour commencer, on peut faire un tour sur le site de l’ADEME www.ademe.fr et consulter notre médiathèque en ligne.
*AMAP : Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne
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