À l’automne 2025, alors que les enjeux climatiques s’imposent avec une urgence toujours plus tangible, Hervé Le Bouler publie aux éditions Delachaux et Niestlé " La forêt du futur – Un défi pour la France ". Le forestier et spécialiste reconnu des écosystèmes boisés y déploie un récit éclairant, accessible et profondément documenté. A travers un voyage dans la diversité des paysages forestiers, il raconte les bouleversements déjà visibles, ceux qui s’annoncent et les réponses qui émergent.
Sale temps pour les forêts françaises : le changement climatique, les attaques d’insectes, les maladies, les tempêtes et les feux les mettent à rude épreuve, et avec une intensité sans précédent. Elles se retrouvent aujourd’hui à la croisée de nombreux enjeux, qui constituent autant de défis pour les forestiers, la filière bois et les citoyens. " Hervé Le Bouler auteur
L’ouvrage résonne avec une actualité brûlante : attaques d’insectes inimaginables il y a vingt ans, dépérissement accéléré de massifs emblématiques, multiplication des parasites exotiques, mais aussi vagues de chaleur extrêmes qui transforment les forêts en poudrières. Le livre rappelle que rien n’est abstrait. Derrière les chiffres, il y a des territoires, des femmes et des hommes, des métiers, des usages, un héritage commun. Hervé Le Bouler ne cède pas au catastrophisme, mais refuse la naïveté.
Il regarde les faits, les interprète à la lumière des sciences et pose une question simple :
Nos forêts peuvent-elles absorber ces chocs successifs alors que le climat file vers +2 °C, +3 °C, voire +4 °C ?
Avec une écriture claire, parfois tendre, parfois inquiète, il propose une lecture nouvelle, moins tournée vers la nostalgie que vers la capacité collective à imaginer des forêts vivantes, robustes et utiles aux générations futures.
Un ouvrage qui dresse l’état des lieux d’une forêt française en transition
Un patrimoine divers, façonné par l’histoire et par l’homme
Hervé Le Bouler commence par replacer la forêt dans ce qu’elle est vraiment : un écosystème naturel, mais aussi un espace de culture et de travail, imprégné de choix humains. Les forêts françaises, explique-t-il, ne sont pas un bloc homogène. Elles reflètent des siècles de pratiques, de renouvellements, de replantations et d’usages locaux. De la hêtraie d’altitude aux pins atlantiques, du chêne pédonculé aux forêts méditerranéennes, chaque massif porte la trace d’un dialogue très ancien entre l’homme et le vivant. Les premières ruptures : insectes, dépérissements et déséquilibres.
L’auteur montre comment, en quelques années, des perturbations autrefois considérées comme exceptionnelles sont devenues courantes. L’exemple le plus marquant reste le scolyte de l’épicéa. Cet insecte autochtone, relativement discret dans le passé, profite désormais du réchauffement pour survivre aux hivers froids et coloniser des arbres en pleine santé. Le phénomène illustre une réalité inquiétante : les équilibres internes des forêts se dérèglent plus vite que leur capacité naturelle d’adaptation.
Quand le climat bouscule tout
Les mégafeux de Gironde, symptôme d’une transformation profonde
Dans son ouvrage, Hervé Le Bouler revient sur les feux de Gironde de 2022, dont le bilan dépasse les chiffres : 30000 hectares brulés, 55000 personnes évacuées, 3000 pompiers venus de partout de France et d’Europe, mobilisés pendant des semaines : des maisons et du matériel de secours incendiés mais aucune victime humaine. Le changement climatique, avec pendant des semaines, des conditions météorologiques inimaginables, était simplement le plus fort. Le climat, par des températures extrêmes et une sécheresse d’une durée exceptionnelle, a simplement été « le plus fort ».
Lors des feux de 2022 en Gironde, les polémiques ont fusé : responsabilités de l’État, erreurs opérationnelles, gestion du massif. Mais lorsque tout eut brûlé, une fois le silence revenu, " tout le monde s’est tu ! "
Ce passage, aussi bref que saisissant, rappelle que la forêt n’est pas seulement un espace écologique : c’est un territoire émotionnel, social, souvent disputé. Ces incendies ont marqué un tournant, révélant à quel point les forêts atlantiques dépendent désormais de conditions climatiques qui les dépassent.
Le dépérissement des chênes : un signal rouge pour les forêts tempérées
L’auteur évoque aussi les dépérissements rapides observés dans des massifs réputés stables : Compiègne, Fontainebleau, Orléans, Vierzon ou encore Tronçais. Longtemps perçus comme solides, presque immuables, les chênes montrent désormais des signes de stress sévère après plusieurs années de sécheresse cumulative. La question que pose Le Bouler est dérangeante : si même les espèces les plus robustes perdent leurs repères, quelle stratégie adopter ?
Menaces émergentes : quand les parasites exotiques arrivent
Le nématode du pin, une alerte majeure dans les Landes
En novembre 2025, l’apparition du nématode du pin dans les Landes en Nouvelle-Aquitaine, crée un choc. Ce minuscule ver microscopique, introduit accidentellement d’Asie, peut décimer des forêts entières en quelques années. Pour Hervé Le Bouler, ce n’est pas une crise supplémentaire : c’est un signal. Le réchauffement facilite la survie et la diffusion d’espèces colonisatrices que nos forêts n’ont jamais rencontrées. Les dégâts potentiels dépassent le cadre strict de la sylviculture : c’est tout un modèle économique et écologique qui peut vaciller.
Agir malgré les incertitudes
Vers une gestion fondée sur la robustesse plutôt que la performance
L’auteur insiste : l’avenir des forêts ne peut reposer ni sur le fatalisme, ni sur l’idéalisme. Face à un réchauffement annoncé à +3 ou +4 °C dans les décennies à venir, il faut accepter un inconnu inconfortable. Et malgré cela, agir. Il identifie trois voies pour préparer l’avenir :
- résistance aux chocs,
- résilience après les crises et
- renouvellement par régénération naturelle ou plantation.
Ces approches orientent les choix sylvicoles vers une qualité nouvelle : la robustesse, qui permet de tenir dans la durée plutôt que de rechercher une efficacité immédiate. " On ne peut pas pour autant attendre vingt ans avant d’agir, au risque alors d’avoir perdu un temps précieux. H. Le Bouler"
Nous sommes à la porte d’un monde totalement nouveau pour la pensée et l’action forestière. Elles font face à des incertitudes énormes. Savoir cela ne conduit pas à se resigner à l’impuissance ou entretenir l’illusion de moyens qui ne viendront jamais."
Pour aborder ces terres inconnues ; ce n’est pas en regardant derrière soi que nous ferons se lever le mur de brouillard du changement climatique, pas plus qu’en réactivant sans cesse, jusqu’à la saturation et l’ennui, le débat entre l’utilité marchande de la forêt et la beauté de l’art forestier désintéressé.
Observer mieux pour comprendre plus vite
Pour l'auteur, l’un des chantiers prioritaires reste l’observation. Les réponses des forêts au changement climatique avancent à un rythme plus rapide que celui des connaissances. Il faudra, estime-t-il, des années pour comprendre pleinement les effets du passage à +2 °C, et encore davantage pour anticiper ceux d’un climat à +4 °C. Cette incertitude appelle un investissement massif dans le suivi, la recherche et la collaboration entre forestiers, scientifiques et citoyens.
Un livre qui ouvre des horizons plutôt qu’il ne referme des portes
“La forêt du futur” ne se contente pas de dresser un inventaire des menaces. Il propose une posture, une manière de regarder la forêt : ni nostalgique, ni technicienne, mais sensible et stratégique à la fois. L’ouvrage rappelle que la forêt n’est pas seulement un espace naturel ; c’est un lieu où s’entremêlent production, biodiversité, mémoire, social et culture. En filigrane, Le Bouler invite chacun à mesurer ce que représente une forêt vivante dans un pays comme la France. C’est un bien commun, mais aussi une responsabilité. L’idée n’est pas de prédire l’avenir, mais de préparer des forêts capables de l’affronter.
Dans la dernière page, l’auteur écrit :
Être forestier, c’est être donneur de vie "
Cette phrase, humble et profonde, traverse tout le livre. Elle donne une direction : nourrir, régénérer, transmettre.
Sources de l’article
- Éditions Delachaux et Niestlé – Présentation de l’ouvrage
- Synthèse “La forêt du futur” d’Hervé Le Bouler
