Cinéma : "En plein feu" un film tourné dans les Landes, en Gironde et en Charente

Tourné dans les Landes, en Gironde et en Charente, "En plein feu" est à l'affiche des salles de cinéma le mercredi 8 mars. Prémonitoire, ce long-métrage réalisé par le Bordelais Quentin Reynaud a été tourné avant les terribles incendies de l'été 2022.

Avec Alex Lutz, André Dussollier, Laura Sepul, Vailler Vaudin, Sophie Parel, le tournage du film a débuté le 9 août 2021, dans les Landes, notamment aux environs de Sore et Louchats, puis au Cap Ferret et sur les plages du Bassin d’Arcachon en Gironde. La reconstitution de la forêt en feu a été réalisée en studio à Angoulême en Charente.

Cinéma : "En plein feu" un film tourné dans les Landes, en Gironde et en Charente

Synopsis

Un feu géant ravage la forêt des Landes. À la suite d’une alerte évacuation, Simon et son père Joseph quittent leur domicile mais se retrouvent rapidement prisonniers de leur véhicule au milieu de ce cauchemar climatique. Le brasier se rapproche. Que faire ? Attendre les secours ? Ou n’est-ce pas en s'enfonçant plus loin encore dans l'immensité terrifiante de la forêt brûlante qu'ils trouveront le moyen de s'en sortir ?

Entretien avec Quentin Reynaud, réalisateur

Vous avez tourné En Plein Feu au cœur de l’été 2021, dans les Landes, une des forêts françaises les plus détruites par le feu l’année suivante, comme si vous aviez eu une prémonition…

Après les incendies qui avaient ravagé la Californie en 2018 - notamment le plus terrible, celui appelé Camp Fire, qui avait entièrement brûlé la ville de Paradise et fait 85 morts - puis ceux, meurtriers et très importants aussi, qui s’étaient déclarés l’année suivante dans la brousse et la forêt australiennes, je me doutais qu’en raison du réchauffement climatique ce type de catastrophe climatique cauchemardesque allait se généraliser dans le monde. J’ai développé alors une fascination pour les récits de feu (visuels ou écrits) parce qu’ils m’ont fait réaliser que, quoi qu’on fasse, on reste à la merci des éléments et que, quels que soient les systèmes de protection ou d’évacuation mis en place par l’homme, si on empiète trop sur ses plates-bandes, la nature a les moyens de réagir avec une force phénoménale. Exemple avec Paradise qui avait été construite sur un terrain boisé dont on savait qu’un incendie y serait difficilement maîtrisable.
Il se trouve que je suis originaire de Bordeaux et que je connais bien les forêts des Landes qui sont, avec celles du Var, les plus souvent touchées par les incendies. Plantées sous Napoléon III sur des marais, pour les assécher, ces forêts sont constituées de grands pins maritimes. Je m’y rends souvent parce que leur verticalité, qui s’oppose à l’horizontalité de l’océan, magnétise visuellement à la fois l’architecte de formation que je suis et le cinéaste que je suis devenu. Quand j’ai commencé à imaginer mon scénario, ces arbres me sont soudain apparus comme étant la métaphore d’une prison : quand ils sont en feu - ils sont très inflammables - ils nous enferment comme des barreaux, on ne peut plus en sortir. J’ai pris la décision définitive d’y tourner En Plein Feu.

Vos propos pourraient laisser supposer qu’En Plein Feu est un film de genre. Or, un autre drame s’y emboîte, intimiste celui-là, qui va assez vite occuper la place centrale de l’écran, reléguant celle de l’incendie au deuxième plan. En Plein Feu est-il un film gigogne ?

D’une certaine manière. Mon idée de départ était de raconter une histoire de deuil, à la fois réaliste et psychanalytique, à travers la relation entre un père et son fils. J’avais le début : un quadragénaire, Simon, qui a perdu un de ses deux enfants, n’arrive pas à surmonter ce deuil. Inconsciemment, il sait qu’il n’y parviendra qu’en se libérant des malentendus accumulés par les non-dits avec son propre père, Joseph. Mais entre Simon, qui est un homme taiseux, et Joseph, un septuagénaire assez secret lui aussi, rien ne paraît pouvoir décoincer la situation. Rien, sauf un 3 évènement exceptionnel qui contraindrait ce père et ce fils à se serrer les coudes et par-là même, à renouer leur relation. Comme cette histoire était destinée au cinéma, il fallait que cet événement soit spectaculaire, et j’ai choisi le feu. Le feu parce qu’il dévore, détruit et terrorise, mais aussi parce que, dans mon histoire, j’allais pouvoir l’employer comme un symbole de la renaissance par la purification.
Au fond, mon film raconte le parcours d’un homme endeuillé qui, pour accepter son chagrin et ses souvenirs, doit se délester de ce qui lui pèse sur la conscience, avec en supplément, cette question cruciale qui se pose à beaucoup de parents qui perdent un enfant : est-ce que je décide de continuer à me battre et à vivre pour ceux qui restent, ou est-ce que je me laisse étouffer par les flammes pour le rejoindre, c’est à dire laisser le désespoir l’emporter, comme le font beaucoup d’êtres humains.
Initialement, ce n’est donc pas pour faire « genre », que le feu est le détonateur, puis l’élément moteur de mon scénario. Il est le deuxième cauchemar du film, climatique celui-là, qui résonne avec le cauchemar personnel que vit Simon. Sans lui, il n’aurait pas pu avoir d’« épreuve », de réconciliation ou de salut possible pour les deux principaux personnages de mon histoire. J’ajoute que le feu est, en plus, l’élément unificateur qui m’a permis de mêler, dans un même film, une grande histoire - un dramatique incendie — et une plus petite, relevant de l’intime, celle de la tragédie personnelle d’un homme qui n’arrive plus à refaire surface. En Plein Feu est à la fois un huis-clos psychologique, un film catastrophe et aussi, dans sa dernière partie, le récit d’une errance qui a presque quelque chose de surnaturel.

Cinéma : "En plein feu" un film tourné dans les Landes, en Gironde et en Charente

Comment avez-vous échafaudé votre scénario ?

Quasiment sur le schéma d’une pièce de théâtre. Il s’ouvre sur une sorte de prologue, un face à face destiné à faire comprendre qu’entre Simon (Alex Lutz dans le film) et Joseph (André Dussollier), les ponts sont rompus… Puis arrive une première partie, très réaliste, avec l’irruption d’un feu gigantesque qui oblige ce père et ce fils à fuir, tous les deux ensemble, dans une même voiture. La violence de leur peur va rompre les barrages psychologiques et les en délivrer. Nous sommes à ce moment du film, à la fois dans le huis-clos et dans le film-catastrophe, la tragédie d’hommes piégés par quelque chose de dantesque qui les dépasse et dont ils ne savent pas comment en sortir… Suit une seconde partie, qui bascule dans l’onirisme et la poésie, où, délivré de son père et du poids des non-dits, Simon décide d’essayer, coûte que coûte, malgré le danger, de trouver le chemin qui le fera sortir de cette forêt en flammes. Au cours de cette errance, réelle ou fantasmée (le spectateur peut choisir), il va croiser des pompiers irrationnellement désemparés, et va revisiter, comme dans un rêve cauchemardesque, plusieurs épisodes de son ancienne vie familiale… L’épilogue montre Simon plongeant dans la mer. On peut en déduire qu’ayant surmonté l’épreuve du feu, il est libéré de ce qui lui pesait et désormais assez fort pour affronter le deuil de son enfant.

C’est Alex Lutz qui est Simon. Avez-vous envisagé, dès le départ, de lui offrir le rôle?

Depuis Paris-Willouby (que j’avais co-réalisé) et surtout 5ème Set, je n’avais qu’une envie : retravailler avec lui… Nous avons créé des liens assez forts tous les deux. On s’épaule l’un l’autre. Un jour, il m’a dit cette phrase qui m’a bouleversée (je reprends ses mots) : « Si tu as besoin de moi, tu me dis à quelle heure et où, et je viendrai ». J’ai donc écrit le personnage de Simon en pensant à lui. Après, je l’ai appelé et il m’a donné son accord.

Simon est un rôle comme Alex les aime, un rôle qui en fait baver à son interprète, parce qu’il exige de lui un engagement physique extrême…

Alex adore se mettre dans des situations particulières. On le voit dans ses spectacles, où il fait toujours des trucs très éprouvants pour son corps, et on l’a constaté aussi dans 5ème Set, où il joue un champion de tennis alors qu’il n’avait, jamais ou presque, touché une raquette de sa vie.

Sur le papier, En Plein Feu ne s’annonçait pas non plus pour lui, ni pour André d’ailleurs, comme une partie de plaisir, surtout lors du tournage de la scène (la plus longue du film, je crois) où Simon est enfermé avec son père dans une voiture entourée de fumées et de cendres et censée être surchauffée à cause du feu qui la cerne. Comme on n’avait pas beaucoup d’argent, on savait qu’il allait falloir être efficace tout de suite, ce qui n’était pas évident. Alex n’a fait aucune remarque, n’a posé aucune question sur les conditions dans lesquelles on allait tourner.

Est-t-il devenu votre acteur fétiche ?

Clairement. C’est formidable pour moi de pouvoir dire cela, car dans ce milieu du cinéma (d’où je ne viens pas !) où les comportements sont tellement erratiques, je n’arrive pas à travailler autrement que dans un esprit de troupe. Qu’Alex ait accepté, symboliquement d’être la figure de proue de cette troupe, me rassure et me touche.

Cinéma : "En plein feu" un film tourné dans les Landes, en Gironde et en Charente

Qu’est-ce qui vous a incité à proposer à André Dussollier d’être le père d’Alex ?

Quand est venue la question de distribuer le père de Simon, Alex et moi avons tous les deux pensé à André Dussollier. Je trouve qu’il y a une filiation naturelle entre André et Alex, dans leur physique, comme dans leur jeu d’acteur. Ils ont une proximité de visage et de voix, et ils ont ce même talent d’incarnation, une même manière aussi d’ancrer leurs personnages. Peut-être parce qu’ils sont aussi tous les deux des comédiens qui font de la scène. 4 On a donc proposé le rôle de Joseph à André, qui a lu le scénario, et qui a dit banco. Je pense qu’il a aimé cette proposition de personnage de taiseux un peu raide (Joseph est un ancien militaire) qui le sortait des rôles d’hommes séduisants et bavards pour lesquels il est souvent appelé au cinéma. Homme exquis, André a été un partenaire formidable, aussi bien pour Alex que pour toute l’équipe et moi-même.

Revenons sur la fabrication du film qui n’a pas dû être facile à mettre en place, notamment celle des séquences concernant la voiture environnée de flammes. Comment vous y êtes vous pris pour qu’elles soient d’un tel réalisme ?

Avec de l’empirisme, de l’imagination et de l’observation. J’avais trouvé une grande quantité de vidéos GoPro tournées par des particuliers, depuis leur voiture cernée par les feux de Californie. Ce qui m’avait frappé dans leurs images, c’est le calme de ces gens-là, qui filmaient l’incendie, sans avoir pourtant la moindre certitude d’en sortir, alors que dans d’autres contextes le feu provoque des comportements plutôt frénétiques. J’ai essayé de reproduire dans mon film cette attitude de calme qui me paraissait assez dingue quand on se trouve dans une telle situation. Cette situation peut donner le sentiment que le film n’est pas réaliste, alors que paradoxalement, la réalité était encore plus difficile à croire.

Qu’est-ce qui vous a donné le plus de fil à retordre ?

Pas tant ces séquences qui nécessitaient un rendu réaliste que celles de la deuxième partie du film, qu’on devait percevoir comme relevant de l’onirisme, même si le feu était toujours bien présent à l’image. Je m’explique. Comme tout de suite après ses retrouvailles avec son père, Alex, sur un mauvais coup du destin, perd la protection de ce dernier, il se retrouve face à lui-même, devant ce problème qui relève de la métaphysique : soit laisser le feu le dévorer et en finir avec cette existence qu’il ne supporte plus, soit réunir ses forces, physique et mentale et continuer à vivre malgré tout. C’est un moment de bascule. A partir de cet instant, il faut que visuellement, on comprenne que, de collective, la tragédie devient aussi celle d’un homme épuisé et seul en proie à ses démons intérieurs. Le feu ne peut plus être seulement regardé comme un ennemi public à maîtriser, mais doit être aussi considéré comme étant la représentation symbolique du mal intérieur qui consume un homme.

Pour la première partie j’avais privilégié les gros plans, afin qu’on perçoive, physiquement, la peur, même très bien maîtrisée, de Simon et de Joseph, incapables, à cause de la fumée, de deviner d’où allaient surgir les flammes. Pour cette deuxième partie, j’ai au contraire beaucoup tourné en plans larges, modifié légèrement la colorimétrie, du bleu vers le rouge, et poussé le son pour qu’on comprenne qu’on représente là, à la fois le réel - le feu qui ne cède pas - et en même temps, l’inconscient tourmenté d’un homme en complète déshérence. Certains, qui ont vu le film, pensent même qu’à ce moment de l’histoire, Simon est mort et que c’est son fantôme qu’on voit errer dans ce qu’on peut interpréter comme un retour fantasmé sur les grands moments de sa vie. Mais d’autres, plus optimistes, préfèrent y voir au contraire un Simon bien 5 vivant, régénéré, comme le Phénix, par sa sortie victorieuse de l’épreuve qu’il vient de traverser, purifié aussi par l’eau bienfaisante dans laquelle il a pu de nouveau se baigner… Je laisse les spectateurs recevoir, comme ils le veulent, cette partie du film. J’aime bien que mes scénarios offrent plusieurs lectures. J’y tenais d’autant plus pour celui-là, qu’il est particulièrement organique et sensoriel.

Votre tournage a-t-il été dangereux, comme certaines images le laissent supposer ?

Pas vraiment non, mais complexe. On a tourné en décors réels dans deux endroits différents du Nord des Landes, dans le Sud de la Gironde, et on s’est ensuite installé à Angoulême dans les studios où Wes Anderson avait tourné The French Dispatch. Notre chef décorateur a reconstitué à l’identique environ 80m de la vraie route des Landes sur laquelle on avait déjà filmé le début de toute la séquence où Simon et Joseph sont dans leur voitures coincés par les flammes. C’était beaucoup plus pratique pour gérer la lumière et le feu.

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En Plein Feu était votre troisième film. Êtes-vous arrivé plus sûr de vous sur le plateau ?

Avant d’y être physiquement, peut-être un peu, mais quand j’y suis arrivé, contrairement à ce que j’espérais, j’ai été assailli par les questionnements et les doutes. Tout y est passé, la construction du scénario, son intérêt, comment le filmer avec la bonne lumière et les meilleurs cadrages, etc. J’en ai conclu que chaque film est un nouveau challenge, qu’il n’y a aucune recette pour le réussir et qu’il y a juste des réalisateurs qui doivent se dépatouiller avec ce qu’on a bien voulu leur accorder (rire).

Pour qui avez-vous fait En Plein Feu ?

Même s’il est un peu hybride, comme l’était 5ème Set qui ne se résumait pas à un film sur le monde du tennis, je l’ai fait pour tout le monde. Je suis parti d’une histoire simple, celle d’un père et d’un fils qui vont essayer d’échapper au feu qui menace la voiture dans laquelle ils sont enfermés, et j’ai ensuite essayé de la raconter simplement, avec ces ingrédients basiques que sont le suspense et l’émotion. Les ramifications que j’ai apportées ensuite à cette histoire renforcent son caractère grand public, tout en n’interdisant pas au spectateur de se poser quelques questions à la sortie de la salle !

Aucun des trois films que vous avez tournés n’a abordé le même genre de sujet. Vous n’êtes pas de ce type de réalisateur qui creusent indéfiniment le même sillon…

Même si, comme beaucoup de gens, j’ai des manies, je ne suis pas obsessionnel. Mon prochain film aura comme contexte le début de la Seconde Guerre Mondiale. Pour le moment, je ne peux pas en dire plus. Il est en montage financier.

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