... questionnements sur la dynamique artistique de Molinier, basée sur des fétichismes où Eros est présent et se loge dans l’androgynie, l’indécence, et la provocation.
En 1976, Pierre Molinier tirait pour de bon sa révérence dans une grande mise en scène. Libre de son individu, libre avec ses passions. Pierre Molinier, peintre photographe, est en effet retrouvé mort le 3 Mars 1976, à moitié dénudé, tué d’une balle dans la tête, sur son lit, dans sa chambre, 7 rue des Faussets à Bordeaux.
Comme le souligne la productrice Martine Vidalenc "Il n’aura pas fallu moins de trois ans pour produire ce film. Trois ans pour découvrir l’homme Pierre Molinier, artiste vertigineux, provocateur érotique infini, chaman insaisissable de la rue des Faussets. Trois ans pour soutenir le processus créatif du cinéaste Dominique Roland, alchimiste des sons de l’intime, chorégraphe des ombres révélées. Trois ans enfin de lutte incessante pour mener à bien la réalisation de ce film dans un contexte audiovisuel qui laisse peu de place à l’anticonformisme."
Note de Réalisation de Dominique Roland
La principale source d’inspiration de Pierre Molinier, ce sont ses jambes, évoluant sans cesse autour de son centre de gravité, au milieu de sa chambre «atelier». Et comme le rituel fétichiste enferme un peu plus l’initié à chaque expérience dans une spirale sans fin, Molinier tente alors d’en sortir à travers les oeuvres et les objets qu’ils fabriquent, avec la puissance sans limites de son art. Ceantasmes, ou encore sujets de sa peinture, de sa photographie, de sa vie. Ce sont toujours et encore elles que l’on voit tourner dans une sorte de ballet obsessionnel, à la manière de la silhouette féminine, aux bas résille, qui hante le film, et dont la chorégraphie met en lumière ses états de corps : marchant dans la rue, dévalant l’escalier, en situation de pause. Durant un striptease.
A travers les ressorts de l’enquête, et de l’inventaire du décor de l’appartement laissé au moment du drame, on découvre un univers fantastique jalonné d’indices, un décor avec des perspectives forcées, dans un statut d’objet «organique» qui selon les scènes s’agrandit, se rétrécit, ou se rapproche. Les chaussures, les masques, les fauteuils, le lit, révèlent en creux l’empreinte de «Molinier absent», tandis que les photos montages, les correspondances, les mannequins, les vêtements, les objets fétichistes nous suggèrent à la manière de prothèses, les prolongements de son corps.
Comme si tous ces objets se chargeaient charnellement, au point que les mannequins soient incarnés par des êtres vivants. Le spectateur est placé dans la situation du voyeur, le regard oblique, matant dans les miroirs les images qui s’exhibent, se floutent, s’étirent, et se distordent jusqu’à l’extrême, aux motifs recherchés de l’extase.
Les fragments photos de corps partiels flottant dans le bac d’acide du photographe, et l’anatomie de son auteur, découpée dans la cuve de formol de la morgue peu après sa mort, troublent l’issue du récit. Autant de pièces d’un puzzle éparpillé, que nous tenterons de recomposer. Le documentaire se déroule comme une enquête dont chaque mot, chaque objet, renvoie à la réalité de cette année 1976, année de la mort de Molinier. Mais il est aussi prétexte à s’immiscer dans son monde surréaliste.
Les images donneront à voir par un jeu subtil de couleur et noir et blanc, les parts d’ombre et de lumière de ces corps morcelés, découpés et reconstruits dans une lutte éternelle entre Eros et Thanatos. Un noir et blanc, contraste d’une dualité « mâle et femelle », quand ils s’opposent et s’attirent pour franchir en son milieu, l’indicible frontière de l’hermaphrodite.
S’aimer et se tuer. Rester maître de sa mort et de sa décomposition érotique où le masculin et le féminin s’entremêlent, se perturbent, et se confondent. Un documentaire où la fiction est présente, comme la créativité de Pierre Molinier qui se fige en instantanés. Un univers du réel et du fantastique, où se recompose dans le laboratoire des tentations charnelles et des métamorphoses, un répertoire gestuel du peintre photographe et de ses fabrications. Personnage «anthropologique de la condition humaine», individu à part entière au sein d’une société qui le met à part, Molinier se «mate» et se «mire» devant sa psyché, à la fois en amant de ses fantasmes, et en maîtresse de ses transformations. L’enquête se terminera par le constat d’un crime commis par sa propre créature. La silhouette féminine aux bas résille, ombre omni présente dans l’univers de Molinier, n’étant personne d’autre que Molinier lui-même
3 questions à Dominique Roland
D’où vous est venu ce désir de faire un film sur Pierre Molinier ?
Le 3 mars 1976, je suis étudiant à l’Ecole des Beaux-Arts de Bordeaux lorsque la police découvre un cadavre au 7 rue des Faussets, dans le quartier Saint Pierre. De qui s’agit-il ? Sur les clichés de l’identité judiciaire, on découvre un corps dénudé, gisant sur son lit, revolver en main, au milieu d’un capharnaüm d’objets, de poupées, de miroirs, de peintures, et de photos érotiques...
Des escarpins féminins et des chaussures munies de guêtres laissent supposer que l’appartement hébergeait un couple. Comment pourrait-on alors deviner, sur ces seuls indices, que les deux paires appartenaient, à une seule et même personne ?
Un «artiste artisan peintre» qui dit «avoir passé sa vie à décrotter des murs pour être libre dans sa peinture»… Quelques amis m’encouragent à suivre cette enquête, et à en écrire un scénario, partant de l’argument que je suis auteur, plasticien, et de surcroît bordelais. Je mets longtemps à me décider. Mais la tentation est trop forte… Il me faut résoudre l’énigme de ce drame.
Comment avez-vous choisi d’aborder ce film ?
Mon intention était d’évoquer Pierre Molinier par son corps manquant, en recomposant celui-ci en creux, à la manière d’un sculpteur, sous la puissance évocatrice de sa voix, de ses photographies, ses oeuvres, ses objets et à travers la reconstitution de son appartement au moment de sa mort. Pour regarder l’oeuvre de Pierre Molinier, il faut sortir de l’anecdote et du statut parfois sulfureux du personnage. Il faut aller au delà de la simple représentation érotique de l’oeuvre pour y découvrir une approche plasticienne saisissante.
Ce qui m’intéresse ici passe par cette alchimie de laboratoire et par la recomposition de créatures issues de fragments de corps, à la manière d’une chirurgie plasticienne. Comprendre les secrets de fabrication du chaman passe par une tentative d’immersion à l’intérieur du décor intérieur de l’artiste et en s’approchant au plus prêt de ses oeuvres. J’ai donc choisi de privilégier cette approche en recomposant les processus de fabrication des oeuvres, et surtout en tentant de comprendre la mentalité créative.
En quoi selon vous l’oeuvre de Pierre Molinier a t-elle une résonnance particulière aujourd’hui ?
L’oeuvre et la vie de Pierre Molinier nous conduit à nous interroger sur deux problématiques. La première questionne la place de l’individu dans la société contemporaine. A cet égard, Molinier apparaît comme un individu à part entière, au sein d’une société qui le met à part. La seconde concerne la question de la sexualité, et de l’appartenance ou de l’identité de genre.
Molinier, le Maître des Vertiges
Molinier, le Maître des Vertiges : un programme d’événements à la croisée de différentes disciplines artistiques et culturelles organisées autour de l’artiste Pierre Molinier (1900 - 1976) du 24 septembre au 21 décembre 2013. C'est un vaste programme porté par un ensemble d’opérateurs culturels cherchant à donner davantage de visibilité à cet artiste surréaliste, peintre et photographe, qui a été une figure emblématique de la capitale girondine pendant près de 50 ans et est aujourd’hui considéré comme un « inconnu de notoriété mondiale ».
Les festivités ont débutée le mardi 24 septembre à 18h30 à la Machine à Lire avec la présentation du livre de Vincent Labaume, en présence de l’auteur, La photo n’est pas sensible, inspiré par l’œuvre de Pierre Molinier. Co-édité par les éditions Confluences et le FRAC Aquitaine, dans la collection « Fiction à l’œuvre ».
Le mercredi 25 septembre sera riche en évènements avec l’organisation de deux conférences par la Bibliothèques Mériadeck de Bordeaux : L’état de corps de Pierre Molinier par Dominique Roland : L’unité de Pierre Molinier résulte d’une étonnante fusion où son oeuvre, sa vie, sa mort, se confondent. Dominique Roland a choisi d’évoquer le thème du corps chez ce peintre photographe, artiste énigmatique et sulfureux).
L'intimité chez Pierre Molinier par Pierre Chaveau
À travers l’étude d’une de ses oeuvres, Pierre Chaveau nous propose de questionner l'intimité et ses frontières chez Pierre Molinier. À l’issue de ces rencontres, les Archives municipales de Bordeaux présenteront le fonds Molinier conservé aux Archives ainsi que les conditions de son arrivée et de consultation. Suivront les projections en exclusivité du documentaire Les Jambes de Saint Pierre de Dominique Roland produit par Marmitafilms, dans différents lieux bordelais.
Le Théâtre du Pont Tournant rejouera, quant à lui, vendredi 27 et samedi 28 septembre, la pièce de théâtre Molinier, le miroir en pire, mise en scène par Stéphane Alvarez. Rencontres, tables rondes, complèteront également le programme qui se clôturera par l’exposition Fictions à l’œuvre : l’art contemporain livré à l’expérience du récit au FRAC Aquitaine avec la présentation des célèbres photos montages de l’artiste, dont une sélection sera également montrée aux Archives municipales de la Ville de Bordeaux.