Dans la seconde moitié du XIXeme siècle, avec les impressionnistes, le geste, la trace, la couleur deviennent des signes formels visibles sur le tableau.
Au début du XXeme siècle, ces signes, utilisés pour eux-mêmes, dissociés de la représentation, ont donné naissance à l'abstraction. Kandinsky franchit le premier ce pas en 1910, en Allemagne, avec une aquarelle abstraite. Après lui, l'abstraction prend deux directions : l'une à dominante géométrique, issue du cubisme, avec Mondrian, Klee ou Malévitch ; l'autre, plus gestuelle, moins formelle, dans les mouvances de l’expressionnisme et du surréalisme, avec Marc, Masson, Miró ou Hartung entre autres en Europe, puis avec l'Américain Pollock.
Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, ces deux tendances de l'abstraction se côtoient, notamment à Paris. En effet, depuis le début du XXeme siècle, Paris accueille et regroupe des artistes venus du monde entier, qui, par leurs recherches, donnent naissance aux avant-gardes et à ce que l'on appellera l’École de Paris. Durant le conflit, les artistes installés à Paris se dispersent, certains rejoignent les Etats-Unis.
La guerre finie, beaucoup reviennent dans la capitale française. Les quartiers Montparnasse et Saint- Germain-des-Prés deviennent des lieux d'échanges et de vie artistique intense. L'abstraction gestuelle et lyrique s'y développe. Les galeries Conti, Allendy et René exposent alors ces artistes pour qui, le geste, la matière et la couleur, sont, à l'égal des notes de musique, des éléments de compositions et d’expressions.
L’exposition Montparnasse/Saint-Germain-des-Prés se propose d’illustrer cette période de l’après-guerre au cours de laquelle se développent différentes tendances de l’abstraction. Elle réunit des oeuvres d’artistes majeurs, tels que : Olivier Debré, Jean Le Moal, Alfred Manessier, André Marfaing, Gérard Schneider et Geer Van Velde. Les oeuvres sélectionnées ne se limitent pas à l’immédiat après-guerre ou aux années cinquante ; elles ponctuent le parcours de chacun de ces artistes et montrent leur évolution au cours des années qui ont suivi.
L’exposition
L’exposition réunit près de cinquante oeuvres réparties sur les trois niveaux de la galerie. Ce sont pour l’essentiel des toiles de grands formats. Elle est constituée de 2 parties :
- Bissière et la non-figuration : Jean Le Moal, Alfred Manessier, Geer van Velde
- Vers l’abstraction lyrique : Olivier Debré, André Marfaing, Gérard Schneider
Eléments biographiques
Olivier Debré
Paris, 1920 – Paris, 1999
Olivier Debré naît le 14 avril 1920 à Paris. Il est le fils de Robert Debré (fils du grand Rabbin Simon Debré) et de Jeanne Debat-Ponsan (fille du peintre Édouard Debat-Ponsan). En 1938, il est reçu au concours d’entrée de l’École des Beaux-Arts, section architecture. Dés le début de la guerre, il s’implique dans la Résistance. Il ne cesse cependant pas de peindre à Paris, en Touraine, à Toulouse dans un esprit impressionniste. Puis il subit l'influence de Pablo Picasso auquel il rend visite à plusieurs reprises.
Pendant l'Occupation, ses premières oeuvres datées de l'hiver 1941-1942 révèlent une peinture tragique dominée par des aplats de couleurs sombres dont la matière épaisse est vigoureusement travaillée au couteau. Sa démarche lui est dictée par sa volonté de présenter une nouvelle vision du monde, devenu infigurable, avec des signes qu'il imagine, pour rendre manifeste l'insupportable. La guerre achevée, Debré retraduit en noir et blanc la violence et l’horreur des camps de concentration. Il réalise ses premières gravures.
En 1949, il réalise ses premiers Signes-personnages et participe au Salon d’Automne. Les Signes-personnages semblent traduire, au travers de la figure de l'homme debout, sa croyance – ou son doute – en l'humanité. Olivier Debré transcrit des sensations afin de les transmettre au spectateur. A partir de 1950, il privilégie la matière et les tons sourds. Il expose au Salon de mai, Salon auquel il participera jusqu’à sa mort. En 1953, il peint ses premiers Signes-paysages, « reflet exact du réel ressenti », dit-il. En janvier 1959, il expose à la Philipps Gallery de Washington et rencontre Mark Rothko. Sa peinture exalte désormais la couleur. L'année 1965 inaugure la longue suite d’oeuvres monumentales. En 1970, une première exposition lui est consacrée au Japon.
Olivier Debré découvre ce pays et sa calligraphie, c’est une véritable révélation. En 1980, il est nommé professeur à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. En septembre 1987, inauguration du rideau de scène et du rideau de fer qu’il réalise pour la Comédie-Française. En 1989 il est choisi pour réaliser le rideau de scène du nouvel opéra de Hong Kong. En 1997, Carolyn Carlson présente sa chorégraphie "Signes", dans des décors et costumes dessinés par Olivier Debré. En 1998, il réalise le rideau de scène pour le nouvel opéra de Shanghai. Le 1er juin 1999, Olivier Debré décède à Paris, dans sa 79e année.
Jean Le Moal
Authon-du-Perche, 1909 – Chilly-Mazarin, 2007
Orphelin de mère très tôt, Jean Le Moal découvre l’art dès l’âge de quinze ans et s’inscrit à l’école des Beaux-arts de Lyon. Puis il s’installe à Paris en 1929 où il copie des oeuvres au Louvre - il y fait la connaissance d’Alfred Manessier - et suit également des cours dans les Académies libres de Montparnasse ainsi qu’à l’Académie Ranson où enseigne Roger Bissière.
En 1937, il travaille avec Manessier à la décoration du Pavillon du chemin de fer et de l’air de l’Exposition internationale des arts et techniques de Paris. De même qu’il participera – toujours avec Manessier - à la première exposition d’avant-garde sous l’Occupation, Vingt jeunes peintres de tradition française en mai 1941 qui marque le début de la Nouvelle Ecole de Paris. Il participe à de nombreux salons et contribue à la fondation du Salon de Mai en 1945.
En plus de son travail de peintre, Le Moal, qui est un passionné de théâtre, crée les costumes et décors de nombreuses pièces tout au long de sa vie. Il est également dessinateur, graveur et lithographe. Il fournit des cartons de tapisserie qui seront exécutées par les tisserands Plasse Le Caisne. Enfin, il restaure des églises et réalise des vitraux, à Rennes, Brest ou Nantes ; ses oeuvres respectent l’architecture du lieu tout en soulignant leur vocation spirituelle. Sa carrière a été couronnée par de nombreuses expositions rétrospectives, en France et à l’étranger.
Ses thèmes de prédilection sont les villages et ports du golfe du Morbihan, comme en témoigne le Souvenir du Crotoy de 1954, les Intérieurs ainsi que les arbres. Un voyage en Amérique du Sud en 1965-66 transforme sa palette qui s’enrichit de tons de rouge, jaune et orangé comme dans les Terres brûlées de 1970. Parallèlement ses formats s’agrandissent. Montparnasse Saint-Germain-des-Prés Abstractions d’après-guerre
Alfred Manessier
Saint Ouen, 1911 – Orléans, 1993
Manessier passe son enfance dans la Somme avant de s’inscrire d’abord à l’école des Beaux-arts d’Amiens puis à celle de Paris, dans la section architecture. Il fréquente, le soir, les académies libres de Montparnasse et passe dans l’atelier de Bissière. En copiant des oeuvres au Louvre, il fait la connaissance de Jean Le Moal avec qui il réalise le décor du pavillon du chemin de fer et de l’air de l’Exposition internationale des arts et techniques de Paris en 1937. A cette époque, il est influencé par le cubisme et le surréalisme.
L’année suivante, il s’installe à Paris et épouse Thérèse Simonnet. Après la démobilisation, il quitte Paris pour Boissiérettes dans le Lot chez Bissière et participe, en mai 1941, à une exposition Vingt jeunes peintres de tradition française, qui signe le début d’une nouvelle peinture indépendante. En 1943, un séjour à l’abbaye de La Trappe le marque durablement ; toute Eléments biographiques son oeuvre postérieure gardera la trace de cette expérience, comme en témoigne le Salve Regina de 1945.
Cette même année, Manessier expose au premier Salon de Mai dont il est membre fondateur et commence à réaliser des vitraux pour Sainte-Agathedes- Bréseux : c’est la première fois que des vitraux non figuratifs sont posés dans une église en France. La nature est un de ses grands thèmes, d’abord celle de son enfance, la baie de Somme, dont il retrouve la lumière froide au cours de ses voyages en Hollande ou au Canada. Mais il traduit également le flamboiement et les contrastes du sud en découvrant la Provence et l’Espagne, comme en témoigne Terre espagnole de 1965. Homme de son temps, il en aborde les grands événements comme le soulèvement hongrois, le procès de Burgos ou l’assassinat du grand pacifiste noir américain dans son Hommage à Martin Luther King de 1968. Admirateur de Don Elder Camara, il consacre toute une série de tableaux au thème des Favellas (1979- 83), tout en poursuivant la série des Sables inspirée par les plages de son enfance.
Le thème de la mort, lié à celui de la Résurrection, est traité dans la série des Passions qu’il reprend en 1986. « Je ne veux pas, dit Manessier, être seulement le peintre de la mort du Christ et de la Passion, je suis aussi le peintre des Alléluia ». A partir des années cinquante, il conjugue les modes d’expression artistique : vitrail, lithographie, mosaïque, émaux, tapisserie et connaît une carrière internationale, récompensée par des prix prestigieux.
André Marfaing
Toulouse, 1925 – Paris, 1987
Marfaing entreprend des études de droit dans sa ville natale et obtient une licence. Après quelques années de vie professionnelle, il commence à peindre en autodidacte, tout en suivant des cours de sculpture et de peinture à Toulouse. En 1949, il s’installe à Paris et se consacre à la peinture. Sa rencontre avec des artistes comme Fernand Léger, Roger Bissière, Alfred Manessier et Pierre Soulages le fait passer de la figuration à l’abstraction. Sa première toile abstraite date de 1953, année de son mariage.
Après avoir exposé dans les Salons traditionnels, il commence à partir de 1954 à participer au Salon des Réalités nouvelles et à figurer dans des manifestations nationales et internationales. En octobre 1956, il signe un contrat avec la galerie Claude Bernard à Paris qui lui organise en mai 1958 sa première exposition personnelle. Progressivement, il n’utilise plus que le noir dont il dit : « Le noir est pour moi le moyen d’expression le plus naturel ». Son ami Pierre Cabanne ajoute : « L’oeuvre de Marfaing appartient au Midi noir et exprime profondément cette dualité entre ombre et lumière… Marfaing recherche le fait plastique pur à travers la monochromie. »
Dans une première période il peint à l’huile, privilégiant le contraste du noir et du blanc en introduisant parfois des touches de couleur. Puis à partir de 1971, il adopte l’acrylique ; sa technique évolue et son art s’oriente vers un apaisement. En plus de son oeuvre peint, Marfaing réalise des dessins au lavis ainsi que de nombreuses gravures dont le catalogue raisonné a été établi en 2002.
Gérard Schneider
Sainte-Croix (Suisse) 1896 – Paris, 1986
Né à Sainte-Croix (Suisse) Gérard Schneider découvre la peinture à l’âge de quatorze ans, à Neuchâtel. Passionné par Raphaël et Léonard de Vinci, il trouve cependant une source d’inspiration en regardant Delacroix, Courbet ou Cézanne. Reçu à l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris, après un passage aux Arts décoratifs, il suit les cours de Cormon, qui eut pour élèves, entre autres, Van Gogh et Toulouse-Lautrec. L’impressionnisme et le surréalisme l’intéressent mais, dès les années 30, il compose ses premières oeuvres abstraites. Dans les années 1944 -1945, il s’affirme comme un peintre totalement abstrait et subjectif, se différenciant de Bazaine, Manessier ou Lapicque qui disent puiser leur inspiration dans la nature. En 1947, il expose pour la première fois avec Hans Hartung et Pierre Soulages au Salon des Surindépendants. En 1948, il est invité à la Biennale de Venise car il est Eléments biographiques considéré comme l'un des artistes les plus significatifs de l'avant-garde. Cette même année, il prend la nationalité française et s’installe à Paris. La peinture de Gérard Schneider, ainsi que celle d’Hans Hartung et de Pierre Soulages, se distingue par une pratique qui laisse toute sa place à la spontanéité du geste. Michel Ragon les dénommera les maîtres de " l'abstraction lyrique ". Désormais, dans son oeuvre, formes et couleurs éclatent avec force et passion, dans une sorte de « romantisme moderne ». L'instantanéité domine ses toiles traversées d’éclats de couleurs.
" L'abstrait - dit il - c'est la libération de tout conditionnement extérieur, c'est l'aboutissement d'un processus de création individuelle, de développement personnel … J'assimilerai cette démarche à l'improvisation musicale … quand je prends une brosse ou un pinceau, une mécanique de création se déclenche et ma main vient porter un signe, préciser une forme, qui dépend de mon état intérieur; c'est une improvisation, une création spontanée." Les années 1951à 1961 verront la reconnaissance de son oeuvre tant en France qu’en Europe, puis au Japon en 1960, et enfin aux Etats-Unis.
Les années 1962 à 1972 sont les années " lumière " de Schneider. De grands aplats colorés gagnent l’espace de la toile, la couleur devient forme, lumière. En 1983, il poursuit son oeuvre avec des grandes compositions toutes empreintes d’éclats lumineux et de flamboyance. Gérard Schneider meurt le 8 juillet 1986 à Paris, à l’âge de 90 ans.
Geer van Velde
Lisse (Pays-Bas), 1898 – Cachan, 1977
Geer, après une enfance difficile, commence à travailler très jeune comme apprenti décorateur, ce qui sera sa seule formation artistique. Il peint d’abord sur le motif en parcourant les Flandres à pied ; son art est alors figuratif. En 1925, il rejoint son frère Bram à Paris et s’y installe. Il subit alors plusieurs influences dont celle de Chagall et du cubisme et représente des champs de foire. Les deux frères exposent ensemble au Salon des Indépendants en 1928, 1929 et 1930, mais sans grand succès. Après une exposition à Londres en 1938 qui est un échec cuisant, Geer quitte Paris pour Cagnes-sur-Mer où il fréquente Bonnard. Il y peint des natures mortes et des vues marines, comme Vue sur la mer de 1946 ou les deux versions de Méditerranée de la même année.
C’est là qu’il trouve son langage personnel. 1944 marque son retour dans la capitale ; il s’installe à Cachan et y crée des oeuvres importantes, en explorant les seules ressources formelles de son atelier, véritable fenêtre ouverte sur le monde. Il intitule désormais ses toiles Compositions et utilise une matière picturale qui évoque la peinture murale a secco. Comme le dit Germain Viatte, il procède à cette période à une sorte d’ « exploration – introspection ».
Les dernières années, Geer approfondit sa recherche sur les liens vide/plein, forme et fond, tout en entreprenant une série de voyages à l’étranger à l’occasion d’expositions collectives de la Nouvelle Ecole de Paris. Les formats de ses peintures tendent vers le carré et il conserve une palette claire.
Visites
Visites commentées tous les mercredis et samedis à 16 heures
Tarif : entrée + 3 €, sans réservation
Conférences
Mercredi 28 novembre à 18 heures à la Galerie des Beaux-Arts
L’Art d’après-guerre : abstractions par Richard Leeman, maître de conférences habilité d’art contemporain, université Michel Montaigne,
Bordeaux III
Tarif : entrée + 3 €, sans réservation
Vendredi 14 décembre à 18 heures à la Galerie des Beaux-Arts
6 artistes, portraits : par Lydia Harambourg, historienne, écrivaine, critique d’art et membre correspondant de l’Institut.
Tarif : entrée + 3 €, sans réservation
Concert
Mercredi 9 janvier à 19 heures dans la Salle de concert du musée d’Aquitaine
Hommage à Schoenberg : Pièces pour piano de Schoenberg et Schoenberg hommage par le quatuor Etienne Rolin
Tarif : entrée + 3 €, sans réservation
Galerie des Beaux-Arts - Place du Colonel Raynal - 33 000 Bordeaux
Tél. : 33 (0)5 56 96 51 60 / Fax : 33 (0)5 56 10 25 13 / Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Le musée et la galerie sont ouverts tous les jours de 11h à 18h sauf les mardis et jours fériés.