Explorer Mars
Après sept mois de voyage, le rover Perseverance de la mission Mars 2020 de la Nasa atterrira sur la planète rouge en février 2021. Il se posera dans le cratère Jezero, d’un diamètre de 45 kilomètres et provenant de l’impact d’une météorite. Celui-ci abrite un ancien delta de rivière qui se déversait, il y a 3,5 milliards d’années, dans un lac. La mission, dont font partie des scientifiques du Centre lasers intenses et applications (CELIA – CNRS, CEA et université de Bordeaux) et du Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux (LAB – CNRS et université de Bordeaux), a choisi ce site pour son contexte géologique favorable à la présence de roches et de minéraux variés, dont des carbonates. Ces derniers pourraient potentiellement préserver des traces de vie fossiles, qui est l’objectif premier de cette mission, en préparation d’un retour d’échantillons sur Terre début 2030.
Perseverance embarque sept appareils dont SuperCam, instrument franco-américain sur lequel travaillent les chercheurs bordelais.
« Il investiguera la géologie des sols et des roches, et jouera un rôle crucial dans la sélection des échantillons à collecter, explique Philippe Caïs, ingénieur de recherche CNRS au LAB et chef de projet de la partie française de SuperCam. Après l’atterrissage, l’équipe ingénierie dont je fais partie disposera de 90 jours pour effectuer les vérifications et le calibrage de l’instrument pour l’utilisation scientifique. »
S’en suivra l’exploration de la surface de Mars.
« Les roches martiennes sont composées des mêmes éléments que la Terre, ajoute Philippe Caïs. Doté d’un laser, de trois spectromètres, d’une caméra et d’un microphone, SuperCam permet d’étudier en détails leur composition chimique et minéralogique. »
SuperCam, "couteau suisse" de Perseverance
« Avec la technique LIBS*, nous tirerons un faisceau laser infrarouge à la surface des roches, ce qui va créer de minuscules explosions permettant de transformer la matière de l’état solide à l’état de plasma, détaille Bruno Bousquet, professeur de physique de l’université de Bordeaux menant ses recherches au CELIA. Les atomes et ions présents dans le plasma se désexciteront en émettant une lumière caractéristique, nous permettant ainsi de les identifier. »
En complément, les scientifiques utiliseront la technique de spectroscopie RAMAN**. « Avec le même laser émettant cette fois un faisceau de couleur verte, nous ferons vibrer les liaisons moléculaires des échantillons ciblés », ajoute Élise Clavé, doctorante en physique au CELIA***.
Appliquée à l’analyse des roches, cette technique donnera des détails sur la structure des minéraux qui la constituent. « C’est la première fois qu’elle sera mise en œuvre sur une autre planète. Elle présente également l’avantage de pouvoir détecter la présence de matière organique. »
L’équipe scientifique travaillera aussi avec une troisième technique de spectroscopie qui analysera en infrarouge la lumière du Soleil réfléchie par les roches, et qui offre une excellente complémentarité aux deux autres techniques. Une caméra haute résolution en couleur servira à connaître le contexte géologique. Enfin, le microphone de SuperCam enregistrera les sons causés par les impacts des tirs laser lors des analyses LIBS, donnant des informations sur la nature des roches (porosité, dureté…).
« SuperCam est un instrument remarquable, se réjouit Bruno Bousquet. Avec un même laser, nous pourrons mutualiser les techniques et obtenir des données co-localisées. »
Le rôle du binôme formé par le physicien et Élise Clavé sera notamment d’analyser les spectres et de livrer des stratégies d’analyse des données aux géologues de la mission avec lesquels ils sont en étroite collaboration, afin d’en faciliter l’interprétation.
Cependant, travailler avec un rover opérant sept instruments à 78 millions de kilomètres de distance et des collègues répartis sur plusieurs fuseaux horaires n’est pas une mince affaire. Bruno Bousquet explique qu’une équipe opérationnelle a été constituée pour assurer la planification et le suivi quotidien des activités SuperCam.
« Les demandes formulées par chaque équipe seront classées par priorités en fonction de l’intérêt scientifique, mais aussi des manœuvres et des ressources électriques associées. »
Un centre des opérations scientifiques sera mis en place au CNES à Toulouse, permettant à la fois du travail en présentiel et à distance.
Télétravail version interplanétaire
Cependant, que s’attendent les chercheurs à trouver à la surface de Mars ? Élise Clavé souligne que « le site d’atterrissage du rover a été choisi avec le plus grand soin pour offrir les meilleures conditions possibles à la préservation de traces exo-biologiques, si elles existent. » Cependant, elle précise aussi que « la mission robotique à elle seule ne permettra certainement pas de trancher sur leur présence, c’est pour cela que l’accent est mis sur la sélection et le ramassage d’échantillons présentant les meilleures caractéristiques, dans le but de les faire revenir sur Terre lors d’une mission future. »
Au-delà de la recherche de formes de vie passées, ce qui passionne les scientifiques est de comprendre l’évolution de la surface martienne sur des millions d’années. « En investiguant la formation des planètes dans le Système solaire et leur développement, nous nous donnons des clés de compréhension pour notre propre planète », souligne la doctorante.
La durée initiale de la mission de Perseverance est d’au moins une année et demie martienne, soit environ 1030 jours terrestres. Toutefois, si tout se passe correctement, Perseverance pourrait - à l’effigie de son prédécesseur Curiosity qui opère à la surface de Mars depuis 2012 - explorer la planète rouge et fournir des données aux scientifiques pendant de nombreuses années.
Crédit rédactionnel : Hélène Katz - université de Bordeaux