Exposition ¡ LIBERTAD ! : la Gironde et la Guerre d’Espagne (1936-1939)

"Le chalutier Cervantes accoste à Pauillac" . 22 octobre 1937 Archives Sud Ouest"Le chalutier Cervantes accoste à Pauillac" . 22 octobre 1937 Archives Sud Ouest

Libertad à Bordeaux : C’est l’histoire de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants dont il est question, émigrés, combattants, réfugiés, puis exilés. Toutes ces personnes d'Espagne, qui colorent aujourd'hui encore, les familles girondines.

De 1936 à 1939, la guerre civile espagnole frappe aux portes de l’Aquitaine. Une région dont les territoires occupent depuis plusieurs siècles une position centrale dans les relations franco-espagnoles : juifs chassés de la péninsule au XVe siècle, francophiles suivant la retraite des armées napoléoniennes (1813-1814), libéraux persécutés après le trienio liberal (1820-1823), carlistes défaits (1833-1949), migrants économiques de l’après Première Guerre mondiale.

A l’aube des années 1930, la communauté espagnole girondine est donc implantée de longue date, numériquement importante, et en constante progression, surtout depuis le début du XXe siècle. Les éléments présents dès l’introduction de l’exposition permettent de mieux saisir ce phénomène. Cette communauté, soudée, reste en outre fortement impliquée dans les événements espagnols dont les nombreux soubresauts, politiques et sociaux, se font ressentir jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres des Pyrénées.

exposition libertad bordeauxLe déclenchement du conflit en juillet 1936, suivi immédiatement de la bataille d’Irun en août et septembre confronte la région directement aux réalités géopolitiques, humaines et sanitaires, du maintien d’un cordon terrestre pour les provinces républicaines du nord à l’accueil d’un premier exode de quelques 15000 réfugiés, civils pour la plupart. Un scénario qui se reproduit à plusieurs reprises, allant crescendo, jusqu’à la défaite finale des républicains. Et une situation qui jette sur les routes, terrestres et maritimes, dix fois plus de civils déracinés et de soldat défaits.                                                 

Tout d’abord, jusqu’à l’agonie du nord républicain et la chute de Gijón et des Asturies en octobre 1937, près de 100 000 espagnols arrivent en Gironde, essentiellement par la mer, sur des navires spécialement affrétés dans un premier temps, puis sur n’importe quel bateau à mesure que l’urgence et la nécessité de l’exil se font sentir. Les registres d’entrée dans l’avant-port de Pauillac, les agendas du lieutenant du port chargé d’organiser l’accostage des bateaux, offrent un éclairage nouveau quant à l’ampleur du phénomène.

Puis, la guerre continuant, la Gironde constitue en même temps une zone emblématique dans l’organisation des secours, à la croisée des chemins de l’exode : des centres d’hébergement sont créés pour accueillir les femmes et les enfants, à Bordeaux et dans sa banlieue, à Talence, Pessac, Mérignac, Cenon, Bassens, et dans les territoires girondins, à Andernos, La-Teste-de-Buch, Arcachon, GujanMestras, Lacanau, Pauillac, Reignac, Blaye, Verdelais, Podensac, Langon, Gradignan, Auros, Cadaujac, Saint-Félix-de-Foncaude, Libourne, Sainte-Terre, Vignonnet, Castillon-la-Bataille, Lugon, Mouliets, Cadaujac, Sainte-Foy-la-Grande, à l’initiative d’élus, de responsables administratifs particulièrement mobilisés et de civils anonymes qui ne le sont pas moins. 

Réfugiées espagnoles en gare de Bordeaux Saint-Jean. Photographie publiée dans La Petite Gironde du 18 septembre 1936 Archives Sud OuestRéfugiées espagnoles en gare de Bordeaux Saint-Jean. Photographie publiée dans La Petite Gironde du 18 septembre 1936 Archives Sud Ouest

Des services de soins sont organisés, non sans mal du fait du nombre et de l’identité politique des blessés, à l’hôpital des Enfants et à Saint-André, avec la participation des élèves de l’école de Santé navale, des infirmières de la Maison de Santé Protestante de Bagatelle, et sur le Habana, emblématique bateau de l’exode républicain qui sert plusieurs mois de navire hôpital à quai, dans le port de Bassens.

Carte d’inscription au Secours socialiste à l’Espagne républicaine. 1938  Archives Bordeaux Métropole, Bordeaux, 327 I 21Carte d’inscription au Secours socialiste à l’Espagne républicaine. 1938 Archives Bordeaux Métropole, Bordeaux, 327 I 21Puis, d’une guerre l’autre, les réfugiés qui n’ont pas été rapatriés bon gré mal gré vers une Espagne devenue franquiste, ou ne sont pas repartis vers un exil plus lointain (Amérique latine, URSS) sont chassés des centres d’hébergement par d’autres réfugiés, ceux de la débâcle venue du nord de la France, poussés par la guerre éclair de l’armée nazie. Nombre d’entre eux sont ensuite regroupés dans des camps d’internement ou des groupes de travailleurs étrangers, dont une partie va bientôt grossir les rangs de la résistance au nazisme, comme un prolongement de leur engagement.

La Gironde est enfin le lieu de l’approvisionnement, clandestin ou non, en aide à la République espagnole. Près de 200 girondins se sont en effet engagés en tant que volontaires aux côtés de l’Espagne républicaine ou dans les Brigades internationales ; les archives russes présentes dans l’exposition montrent la réalité crue de cet engagement. Nombre d’entre eux y moururent, la plupart de ceux qui en revinrent, devinrent résistants tels Roger Allo ou Charles Nancel Pénard (fusillés à Souge en 1941).

Durant ces trois années, la Gironde est encore la plaque tournante du trafic d’armes venues d’Union soviétique, malgré la neutralité officielle du gouvernement français. Ses ports accueillirent les navires de la compagnie France-Navigation venus de Mourmansk chargés d’armes, de munitions et de vivres déchargés à quai par les dockers – dont nombre d’Espagnols – et réembarqués sur des trains et des camions, à destination de la frontière catalane, avec la complicité voire la bienveillance des services du département et de l’Etat.

Réfugiées espagnoles en gare de Bordeaux Saint-Jean. Photographie publiée dans La Petite Gironde du 18 septembre 1936 Archives Sud OuestRéfugiées espagnoles en gare de Bordeaux Saint-Jean. Photographie publiée dans La Petite Gironde du 18 septembre 1936 Archives Sud Ouest

C’est de l’histoire de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants dont il est question, émigrés, combattants, réfugiés, puis exilés ; entre la mère patrie et la terre d’accueil privilégié que constitue le département de la Gironde. Une histoire de migrations, une histoire d’engagement, une histoire de solidarité établie par des documents d’archives provenant essentiellement des fonds conservés aux Archives départementales, mais également aux Archives Bordeaux Métropole, aux Archives communales de Talence, dans les services du Grand Port Maritime de Bordeaux, à la Bourse du travail, ainsi que par des particuliers qui ont bien voulu prêter quelques-uns de leurs souvenirs. Quelques documents proviennent également d’Angleterre, de Russie et bien sûr d’Espagne.

« Un épisode tragique de la guerre d’Espagne. Le cargo espagnol Mar-Cantabrico ». La France, 10 mars 1937 AD Gironde, BIB 6 I/L 4-47« Un épisode tragique de la guerre d’Espagne. Le cargo espagnol Mar-Cantabrico ». La France, 10 mars 1937 AD Gironde, BIB 6 I/L 4-47On peut y voir également de nombreuses photographies des reporters des quotidiens La Petite Gironde (prêtées par Sud Ouest) et La France, ainsi que les actualités cinématographiques de la Gaumont. Le tout orchestré par l’agence Rebus (Fred Augry et Geoffroy Simon), qui propose une scénographie immersive – environnement inspiré du pavillon de la République espagnole à l’Exposition universelle de 1937, silhouettes de migrants, valises, paravents – à la fois respectueuse des originaux d’archives, et du contenu scientifique conçu par Francine Agard-Lavallé et Bernard Lavallé, en lien avec les équipes des Archives départementales.

L’exposition accueille également en son sein, une série d’œuvres du plasticien Pascal Convert et de son travail consacré à la figure de Joseph Epstein, militant communiste polonais, qui arrive à Bordeaux dans les années 1930. Officiellement pour y étudier le droit, son dossier d’élève est d’ailleurs conservé ici, dans les fonds de l’université, mais il ne fait guère de doute qu’il est déjà un élément incontournable du réseau bordelais de la IIIe Internationale, fréquentant notamment les Mercader, frères de l’assassin de Trotsky à Mexico. A ce titre, il participe dès le début du conflit à l’aide tournée vers l’Espagne républicaine, part au front d’Irun à l’été 1936 en tant que volontaire, en revient blessé, retourne en Espagne en 1938, cette fois dans les Brigades internationales. A son retour, il est interné à Gurs, puis s’engage dans la légion étrangère. Il est fait prisonnier en Allemagne, s’évade, et rejoint la région parisienne où il dirige les Francs-Tireurs et Partisans sous le nom du colonel Gilles. Il est arrêté en novembre 1943, torturé et fusillé au mont Valérien le 11 avril 1944. Il laisse sa Lettre au fils, point de départ du travail documentaire et artistique de Pascal Convert. A la lecture du livre, au visionnage du film et à la découverte de l’œuvre, on découvre un militant infatigable, mais également le père d’un enfant qu’il ne reconnut pas à sa naissance en 1941, pour mieux le protéger.

Durant presque cinq mois, l’exposition est accompagnée de visites guidées, d’ateliers pédagogiques, et les samedis après-midi de conférences, débats, projections, rencontres avec des auteurs de bande dessinée, concerts et pièces de théâtre, organisées en partenariat notamment avec l’Institut Cervantes, et le Centre François-Mauriac de Malagar. Un temps fort sera également proposé le 1er avril à l’occasion des Nocturnes de l’Histoire avec une table-ronde sur les « Sources de l’histoire des Brigades internationales », organisée en partenariat avec l’ONAC-VG de la Gironde et l’Association des combattants de l’Espagne républicaine. Enfin un catalogue richement illustré, sera édité à cette occasion (SilvanaEditions, 19€).

Réfugiés à la frontière espagnole. 1939 Archives Sud OuestRéfugiés à la frontière espagnole. 1939 Archives Sud Ouest

Une exposition conçue et réalisée par les Archives départementales de la Gironde  avec le concours des services départementaux : Biblio.gironde, Direction de la communication, Direction des relations avec les usagers, Centre d’impression départemental, Direction du patrimoine, Direction des systèmes d’information et du numérique, service de la commande publique, service administration et moyens (DGAC) et le soutien du Ministère de la Culture (DRAC Nouvelle-Aquitaine)

Commissaires scientifiques : Francine Agard-Lavallé et Bernard Lavallé, auteurs de « Car ce combat est aussi le nôtre ». Bordeaux, les Bordelais et la Guerre d’Espagne, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, Pedelahore transhumance, 2018, 309 p.

Une exposition présentée aux Archives départementales de la Gironde jusqu'au 19 avril 2020, conçue et réalisée par les Archives départementales de la Gironde, avec le soutien du Ministère de la Culture.
Archives Départementales de la Gironde - 72 cours Balguerie-Stuttenberg, 33300 Bordeaux - 05 56 99 66 00
Visites guidées le mardi à 10h, le dimanche à 15h et sur réservation entrée libre et gratuite pour tous Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Crédit et Source Rédactionnelle Archives départementales de la Gironde