Destination Vignoble : le Jurançon vignoble du Béarn - Histoire du vignoble de Jurançon

Jurançon, vin du Roi, roi des vins. Entre soleil et Pyrénées, le vignoble de Jurançon chante un hymne aux traditions : le circuit d'une inoubliable balade gourmande... Non loin de Lourdes et de Biarritz, dans une zone de coteaux à une altitude moyenne de 300 mètres, le vignoble du Jurançon s'étale sur une quarantaine de kilomètres.

Vignoble du Jurançon coeur du Béarn viticole
Vignoble du Jurançon coeur du Béarn viticole

Index de l'article

Le vignoble : des origines à aujourd’hui

Le petit vignoble de Jurançon a eu l'avantage non négligeable de faire parler de lui au cours de sa longue et riche histoire. Un vignoble aux origines lointaines Selon les hypothèses les plus répandues, la vigne aurait été introduite en Béarn il y a 2000 ans environ par les romains (mosaïques gallo-romaines symbolisant la vigne retrouvées aux environs de Jurançon).

Comme souvent, la culture de la vigne au Moyen-Age est placée sous influence ecclésiastique. C'est à cette époque, en 1117, que le mot "juransoo" apparaît pour la première fois ; le bourg de Jurançon, lui, n'est créé qu'en 1297. Le recensement de Gaston Fébus en 1385 témoigne du développement de la vigne dans la région, mettant notamment en évidence le noyau historique du vignoble : le secteur que l'on connaît aujourd'hui sous le nom de " Chapelle de Rousse ".

jurançon

Au XVe siècle, les plus grands domaines sont aux mains des notables, donnant ainsi naissance à des contrats sur l'exploitation des terres : les colloqui (location de la vigne contre un tiers de la récolte). Mais l'événement majeur de ce siècle est l'installation des vicomtes du Béarn en 1460 à Pau, qui marque le début de l'âge d'or du vignoble.

Le XVIe siècle : la naissance d'un vin royal

Ce siècle apporte prestige et renommée au vin de Jurançon, lui proférant pour les siècles à venir un statut de vin royal. Henri II d'Albret, père du futur roi de France Henri IV, acquit des vignes en 1550. De celles-ci est née la fameuse légende de la goutte de vin à la naissance de Henri IV. Son père lui fit humer du vin de Jurançon avant de lui frotter les lèvres avec une gousse d'ail, pratique sensée fortifier le nouveau-né. Cet épisode, qui peut paraître anecdotique, va devenir une tradition (baptême béarnais) et le symbole des vins du Jurançon.

Le commerce extérieur se développe essentiellement avec l'Europe du Nord, entraînant la mise en place de réglementations strictes sur le vin afin de lutter contre les fraudes. Le vin, à l'époque vendu en barriques, se présentait sous deux formes : un cru vieux de 1 an pouvant se conserver 8 mois et un autre de qualité inférieure, issu des dernières récoltes, se conservant 18 mois. On trouvait également du vin rouge et du claret (mélange blanc/rouge).

Une renommée difficile à confirmer

Le XVIIe siècle est le témoin d'une nette augmentation de la consommation du vin. Une "révolution viticole" se produit à cette époque avec notamment la diffusion de la mise en bouteilles (XVIIIe) permettant au vin de se sublimer avec les années. Le paysan découvre un intérêt financier dans la culture de la vigne et se met alors à planter en masse ; le paysage rural s'en trouve profondément modifié (mélange de polyculture et de vigne sur les parcelles).

C'est dans ce contexte qu'apparaît la culture haute de la vigne (hautains) qui se substitue à la vigne basse afin de lutter plus efficacement contre les catastrophes climatiques fréquentes. La culture de la vigne devient une véritable institution en Béarn, le paysan y est fortement attaché car elle représente, pour lui, prestige et reconnaissance individuelle : une agriculture du riche en quelque sorte.

Mais le plus difficile alors est de maintenir la qualité. En effet, la plantation en plaine (terroir inadapté) était monnaie courante, le vin "vert" produit avec du raisin trop jeune provoque des épidémies et les fraudes se multiplient (lors du transport, on utilisait le nom prestigieux de Jurançon pour des mélanges avec des crus inférieurs). L'image des vins en pâtit, ce qui oblige les états du Béarn à prendre, en vain, des mesures draconiennes. Les rapports avec l'étranger s'amplifient grâce à l'établissement de comptoirs à Anvers et Hambourg (ouverts par les protestants chassés du Béarn après la révocation de l'Edit de Nantes).

Pour faciliter ces échanges, les états du Béarn prennent la décision de créer un commerce sans intermédiaire. L'établissement de la "société patriotique des vins de Béarn" en 1780 fut la toute première tentative pour fédérer les vignerons béarnais par une circulaire conseillant les exploitants (sorte d'ancêtre de l'AOC).

Malheureusement, cette noble et ambitieuse entreprise ne fut jamais récompensée, la compagnie s'endetta rapidement et fut dissoute en 1786. D'autre part, les autorités béarnaises tentèrent de sensibiliser la Cour à Paris par l'envoi de produits du pays, mais là aussi la tentative fut vaine car les grands du royaume avaient d'autres préoccupations en cette fin de XVIIIe siècle.

De toutes ces expériences, les béarnais vont garder un fort traumatisme. Dès lors, le vin sera uniquement écoulé localement ; cet isolement fait basculer inexorablement le vignoble dans la crise au XIXe.

Le long sommeil du Jurançon

La Révolution marque le début d'une nouvelle ère agricole puisqu'elle remet de nombreux domaines entre les mains des paysans. Ces derniers, dans une recherche louable de profit, vont négliger la qualité.

Les premières crises surviennent dès le début du XIXe siècle avec tout d'abord une surproduction en 1828 provoquant un écroulement des prix du vin puis une crise due au manque de matériel moderne des vignerons et ce malgré une certaine embellie dans la période 1830-1850 (notamment grâce à la résurgence du mythe du baptême d'Henri IV prônée par la Restauration) le vignoble a du mal à se relancer.

Pourtant c'est durant ces mêmes années qu'apparaissent les premiers ouvrages oenologiques, le vin de Jurançon y est largement reconnu puisqu'il est placé à un rang supérieur à celui des grands sauternes mais les auteurs reconnaissent unanimement que l'homogénéité de la qualité fait défaut et ils redoutent une aggravation. La situation du petit vignoble va considérablement empirer avec l'émergence des maladies de la vigne qui surviennent dans la deuxième partie du siècle et frappent l'ensemble du territoire français.

Tout d'abord, le jurançonnais est touché par l'oïdium (champignon provoquant le dépérissement du cep) en 1860 sévissant en Béarn jusqu'en 1870 et vaincu finalement par des soufrages répétés.

Puis c'est au tour du phylloxéra (larve attaquant les racines des ceps) de faire des ravages en 1892. Aucun traitement ne s'avère réellement efficace contre cette maladie, la seule solution reste l'arrachage massif des plants de vigne et un greffage sur des plants américains.

Le Jurançon vignoble du Béarn

Et comme si cela ne suffisait pas d'autres maladies (black rot, mildiou) viennent s'ajouter. Au sortir de cette épiphytie, le jurançonnais est en perdition : la qualité des vins est médiocre et sa réputation en pâtit considérablement, les petits exploitants ruinés se recyclent dans des activités plus lucratives (maïs). Une restructuration du vignoble est nécessaire pour espérer une relance mais celle-ci est trop aléatoire, la plantation (le vigneron a adopté depuis la fin du XIXe une vigne haute de 1,80 m mieux adaptée au terroir, bon compromis entre hautains et vignes basses) massive en plaine avec des cépages hybrides à fort rendement devient monnaie courante afin de minimiser les effets de la crise et les meilleurs terroirs sont laissés à l'abandon.

La crise de qualité s'accompagne d'une crise de production et de mévente jusqu'en 1919. Le vin de Jurançon semble destiné à disparaître pour bientôt n'être plus qu'une légende à l'entrée de la première guerre mondiale. Au lendemain de 14-18, les vignerons jurançonnais ne peuvent plus vivre du fruit de leur vigne (la polyculture est leur seul recours) et les plus fragiles d'entre eux disparaissent alimentant l'exode rural (pénurie de main d'oeuvre).

La réputation du vin est au plus bas, il est consommé uniquement dans les débits de boissons locaux. La renaissance d'un vin royal : le retour du prestige et de la renommée C'est au moment où l'on n'y croyait guère plus que des hommes, qui ont toujours vanté le potentiel du vignoble, se sont évertués (au nom de son glorieux passé) à sortir le Jurançon du "coma". Le plus important d'entre eux est sans nul doute le docteur Doléris (membre de l'Académie de Médecine) qui est peut-être avec le recul le personnage majeur de l'histoire du vignoble. Il dénonce dans ses ouvrages les nombreux abus des viticulteurs et fait appel à leur bon sens et leur don inné pour la vigne afin de réagir au plus vite.

Il revendique auprès des vignerons, avant tout, un retour à la tradition de la qualité et, pour parvenir à ses fins, a mené de multiples expériences scientifiques et viticoles. Il a notamment déterminé les cépages les mieux adaptés au terroir, élaboré de meilleures méthodes de vinification, mis en place la toute première délimitation géographique du jurançonnais…

Tout ce travail de longue haleine afin de reconstituer le vignoble d'une manière plus efficace est récompensé dès 1936 avec l'entrée dans l'AOC (une des premières de France que Doléris réclamait depuis 1932) dont le décret s'est largement inspiré des travaux du docteur. L'AOC "Jurançon" (uniquement pour le vin blanc moelleux) de 1936 permet une sélection scrupuleuse des terroirs (en 1933, le vignoble s'étendait sur 3800 ha, en 1936 seulement 400 ha bénéficient de l'appellation) et par conséquent un retour à une certaine qualité. L'AOC "Jurançon sec" arrive beaucoup plus tard (pour répondre à une forte demande), en 1975 alors que la mention "vendanges tardives" (la seule en France avec l'Alsace, et depuis les Coteaux du Layon) est obtenue en 1994.

jurançon

La création d'une Coopérative en 1949 confirme la conjoncture favorable

La mise en commun du travail viticole grâce à cet organisme a permis notamment de venir en aide aux petits exploitants et de réhabiliter des terroirs abandonnés. Malgré tout, les difficultés perdurent : le gisement de gaz trouvé dans la région dans les années 50 provoque la destruction des plants (300 ha d'AOC en 1962), le maïs se développe de plus en plus, l'exode rural est conséquent alors que les vignerons sont encore trop sous-équipés ce qui fait que le vin vendu en vrac est destiné en majorité au négoce

En fait, le véritable décollage du Jurançon a lieu au début des années 80 avec l'émergence d'une génération de jeunes vignerons indépendants qui ont pris conscience du potentiel viticole qu'ils avaient entre leurs mains. Ils vont investir massivement dans le développement moderne du vin notamment en créant une association en 1986, la "Route des Vins" et vont entraîner l'ensemble des membres de l'appellation dans leur sillage pour la conduire vers le haut.

Il est indéniable que le Jurançon a retrouvé, à la fin du XX e siècle, la qualité et le prestige qui a fait sa renommée au cours de son histoire en France comme à l'étranger. Aujourd'hui cette petite appellation de 1000 ha est en plein essor et fait partie des plus "Grandes" de France.

Travail extrait du mémoire de Maîtrise d'Histoire de Alexandre Lahitte (2002) intitulé "Entre tradition et modernité, la renaissance d'un vin : contribution à l'étude du vignoble de Jurançon"

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