Nuit de la Solidarité : le Bordeaux des personnes sans-abris

La Nuit de la Solidarité est une opération de recensement des personnes sans-abri. Elle est utilisée depuis de nombreuses années dans plusieurs villes américaines et européennes. La Ville de Paris a été la première à utiliser cette méthode en France, en 2018.

Bordeaux a lancé sa première Nuit de la Solidarité en 2022, dans un contexte de crise sanitaire liée à la COVID-19.

L’objectif principal est de compléter les données (classiques) de recensement de l’INSEE et de dénombrer les personnes sans-abri à un moment donné dans un territoire limité. En complément, des questions relatives à la situation personnelle et/ou parcours des personnes rencontrées visent à mieux adapter les dispositifs publics d’accompagnement et d’accueil. Le principe du recensement est celui de l’exhaustivité. Il faut toutefois noter que cette exhaustivité ne peut pas être totale. Certaines situations sont difficiles à recenser parce qu’il existe des publics qui restent à distance de tout dispositif, qui ne souhaitent pas être recensées, qui étaient absents le soir du recensement... Dans cette opération, sont spécifiquement recensées les personnes qui passent la nuit dans un lieu public non prévu pour l’habitation (rues, terrains vagues, hall de gare, jardins publics...). Les personnes hébergées en CHRS (Centre d’hébergement et de réinsertion sociale, en CADA (centre d’accueil pour demandeur d’asile) ou en hôtel ne sont pas comptabilisées.

AOL En savoir plusSans-abrisme en France définition et problématique 

Selon l’INSEE, le terme de sans-abri est utilisé pour désigner une personne qui ne vit pas dans un logement pérenne, salubre et personnel. Il comprend les personnes sans toit, mais aussi les personnes qui vivent dans des bidonvilles ou des hébergements d’urgence. Bien que réalité ancienne, le sans-abrisme est relativement méconnu par manque d’outils appropriés et fiables, en raison de la précarité d’une population cernée à travers des catégories fluctuantes (sociales, administratives…) et dont le mode de vie varie en fonction des saisons et des territoires. L’exercice du dénombrement se révèle donc un enjeu local et national. La plus grande difficulté pour dénombrer les personnes sans-abri qui vivent dans l’espace public est d’ordre pratique : des moyens importants sont nécessaires pour quadriller en une soirée l’intégralité d’un territoire avec des enquêteurs et pénétrer des endroits parfois difficiles d’accès (friches, campements, etc.).

Recensement de la nuit du 20/01/2022

La date du jeudi 20 janvier s’est imposée en raison de la concomitance avec le recensement « Habitats Mobiles et Sans-Abris » de l’INSEE. La température prévisionnelle pour la nuit était de 4°C.

Le contexte sanitaire dégradé (résurgence importante de l’épidémie du Covid 19) a imposé le respect strict des gestes barrières et du cadre gouvernemental imposé pour tous les événements à cette période : port du masque en extérieur, usage fréquent de gel hydroalcoolique, interdiction des collations debout (impossibilité de distribution de boisson chaude).

Les équipes de bénévoles ont été réparties dans 91 secteurs prédéfinis avec un départ à 19h et un retour possible jusqu’à 23h. Les secteurs de Caudéran et Saint-Augustin ont été parcourus en voiture le soir de l’opération. Aucune personne sans-abri n’y a été recensée. À l’issue des opérations de saisie, 599 questionnaires ont été retenus.

La base de données a été préparée, mise en forme et analysée par les deux chercheurs en Sociologie du Comité Scientifique et par une équipe d’étudiants du Master « Chargé d’études sociologiques » de l’Université de Bordeaux entre février et mai 2022.

Le questionnaire comprenait 22 questions qui ont été posées directement aux personnes sans-abri.

NuitSolidarite Bordeaux 2022

Les principaux résultats et enseignements

Point de vigilance méthodologique

Comme toute étude à caractère statistique, les données suivantes doivent être lues avec précaution et mise en perspective au regard du dispositif d’enquête (le questionnaire et la passation du questionnaire par les volontaires).

En effet, le recensement des personnes sans-abri peut être compliqué du fait des situations d’urgence ou de très grande vulnérabilité des personnes. Pour certaines questions, le nombre de répondants est trop faible pour permettre d’en tirer un enseignement d’ordre général.

Un rapport détaillé présente l’ensemble des données recueillies pour chaque thématique. Il sera mis en ligne prochaineent sur le site internet de la Ville de Bordeaux.

Les personnes sans-abri à Bordeaux : des profils distincts

Ville et bidonvilles : les deux réalités du sans-abrisme bordelais À Bordeaux, deux situations assez distinctes se superposent : celle des personnes interrogées dans la rue (189 personnes soit 31.5% des personnes interrogées) et celle des personnes localisées dans les bidonvilles et campements (410 soit 68.5%).

Le GIP Médiation (dont une équipe intervient en particulier en médiation auprès des personnes vivant en squat, campement et bidonvilles de la métropole) définit les campements comme la présence d’une ou plusieurs tentes sur un espace ; les bidonvilles sont définis comme des habitations de fortune caractérisées par l’usage de matériaux de récupération et des conditions de vies dégradées (difficultés d’accès à l’eau, à l’hygiène, risques électriques...) Les secteurs qui comptent le plus de personnes sans-abri sont ceux des quartiers populaires : Nord et rive droite pour les bidonvilles et campements, centre-ville et autour de la gare pour le diffus urbain.

Le portrait statistique des personnes sans-abri à Bordeaux

Il s’agit de jeunes gens et de familles, majoritairement ressortissants de l’Union européenne, dont de nombreux travailleurs. Dans le diffus urbain, 81,5 % des personnes sans-abri sont des hommes. 69 % des personnes sans-abri rencontrées dans les rues ont entre 25 et 55 ans.

Dans les campements en revanche, l’installation de nombreuses familles se traduit par une présence féminine plus importante : 43 % de femmes et 56 % d’hommes.

La tranche d’âge des 25 à 55 ans y est la plus représentée (53 %) mais on relève aussi 27 % de mineurs.

Au global, 36 % des femmes et 25 % des hommes sans-abri ont moins de 25 ans, qui reste un âge pivot pour de nombreuses politiques publiques.

Enfin, 17 % de l’ensemble des personnes sans-abri interrogées sont de nationalité française (46 % dans le diffus urbain). Dans les bidonvilles, 76 % sont des ressortissants de l’Union Européenne (UE) et 17 % sont des ressortissants hors UE.

Du point de vue des ressources, le travail déclaré est la source la plus citée (29 %), devant le travail non déclaré (19 %), les prestations sociales (18 %) et la mendicité (14 %). Dans les bidonvilles, le travail (déclaré ou non) est la première ressource loin devant toutes les autres : 58 % des répondants ont indiqué travailler.

Une personne sur deux ne bénéficie pas d’une couverture santé

L’état de santé perçu obéit à un facteur d’âge, les plus jeunes déclarant une meilleure santé.

Les personnes sans-abri en bidonvilles déclarent à 75 % être en bonne ou très bonne santé. 25 % des personnes rencontrées ont indiqué quel professionnel de santé ils ont consulté pour la dernière fois. Le médecin généraliste attaché à un dispositif médico-social est le plus souvent cité par les personnes interrogées. 57 % des personnes sans-abri en ville n’ont pas de couverture maladie contre 37 % des personnes sans-abri en bidonvilles (la présence des enfants conduisant à des consultations plus fréquentes).

Trajectoire des personnes sans-abri : mobilité, lieu de vie et cause de leur sans-abrisme

Des personnes majoritairement présentes à Bordeaux et sans-abri depuis plus d’1 an

L’enquête de la Nuit de la Solidarité montre qu’en termes de trajectoire, les personnes sans-abri sont plutôt installées sur le territoire bordelais et non de passage : 40 % sont présentes depuis 1 à 5 ans, 33 % depuis plus de 5 ans, contre 7 % présentes depuis moins de 3 mois. Ainsi, les situations d’errance géographique apparaissent relativement marginales au regard de la population rencontrée, plutôt implantée durablement sur le territoire.

Plus des deux-tiers des répondants (68%) sont sans logement personnel depuis au moins un an. Ce constat dénote une difficulté notable à retrouver un parcours vers le logement, avec des situations durables de sans-abrisme malgré la forte proportion de travailleurs.

L’importance du groupe social

92 % des femmes et 62 % des hommes ne dorment pas seuls. L’appartenance à un réseau familial ou amical est essentielle et répond à la fois à un besoin de sécurisation et de vie sociale. Ces personnes peuvent rencontrer des difficultés à trouver leur place dans des dispositifs d’accueil et d’accompagnement qui cibleraient plus spécifiquement les personnes isolées.

Cause du sans-abrisme

La majorité des personnes sans-abri sont arrivées à Bordeaux sans logement (64 % pour les personnes sans-abri en bidonvilles). Pour celles qui avaient un logement et qui l’ont perdu, ce sont principalement des raisons financières qui sont évoquées (perte d’emploi, chômage…), puis l’expulsion locative et enfin les séparations familiales.

Source : ville de Bordeaux - Bilan de la Nuit de Solidarités 2022