Pont de Pierre de Bordeaux : une histoire vécue

Il en est passé de l’eau sous le pont depuis 1822 date d’inauguration du premier pont bordelais sur la Garonne. Le vénérable Pont-de-Pierre porte les maux de ses ans. Les 17 arches qui sont souvent associées à l’image du Bordeaux UNESCO courbent l'échine et souffrent de l’usure du temps.

Le pont de pierre : le premier pont qui a permis aux Bordelais de franchir à pied la Garonne
Le pont de pierre : le premier pont qui a permis aux Bordelais de franchir à pied la Garonne

Mais qui en connaît l'histoire ? Nos confrères de l’Association de la Mémoire de Bordeaux ont conduit une interview exclusive du plus vieux pont enjambant la Garonne à Bordeaux. Voici la saga de "Moi, petit pont de pierre" !

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Dieu, que ma naissance fut difficile tant les adorateurs et utilisateurs de Garonne veillaient !

Garonne, depuis la nuit des temps, des Pyrénées à l'océan, majestueuse et capricieuse, arrose les pays de Guyenne et Gascogne. Adorée et vénérée comme une Déesse par les premières peuplades, couper son cours naturel était considéré comme une offense, voire un sacrilège. Ni les Romains, ni les Anglais, ni les Français et encore moins les Gascons jusqu'au XIXe siècle ne se hasarderont à affronter le fleuve. Et pourtant que de projets depuis que l'intendant Tourny, entre 1743 et 1757, a fait raser les remparts de la cité pour faire de Bordeaux "la plus belle ville de France". Mais voilà ! Garonne appartient aux bateliers qui contre monnaie sonnante assurent la liaison entre les deux rives et ils ont le soutien inconditionnel des jurats (conseillers municipaux) qui refusent systématiquement toute amorce ou schéma d'un pont, serait-il en bois !

Je dois ma première venue au monde à un empereur embourbé dans les boues des marécages

En 1808, Napoléon Bonaparte a conquis toute l'Europe, il manque à son tableau de chasse l'Angleterre et la Péninsule ibérique "un pays d'hidalgos et de couvents". Pour envahir l'Espagne, l'empereur fait passer par Bordeaux la Grande Armée. Pont de Pierre de Bordeaux : histoire vécue avant une éventuelle fermetureSoldats et chevaux pataugent dans les terrains détrempés sur les bords de Garonne. Le 26 juin 1810, il signe un décret d'édification d'un pont de 535 mètres de long et promet d'en financer la moitié. En 1811, les trois premières piles s'élèvent rive gauche, en 1812, la première pile s'érige rive droite, mais en 1813, une grosse tempête et une crue de Garonne emportent les pieux et neutralisent les travaux. La guerre d'Espagne tourne au désastre. En 1814, l'empereur abdique. Faute de financement, le projet s'arrête.
Chers lecteurs quand je vous dis que Garonne est une Déesse qui se moque des hommes, de leurs projets et de leurs chamailleries, vous me croyez !

Mis en couveuse, c'est à un mécène que je dois ma véritable naissance

En 1816, un armateur bordelais, Pierre Balguerie-Stuttenberg, encouragé par un autre Bordelais Joseph-Henri Lainé, alors ministre de l'Intérieur, fonde une association de riches commerçants et négociants sous le nom de "La Compagnie du Pont" qui en échange d'un apport de deux millions de francs demande une concession d'exploitation durant 99 ans avec droit de péage. L'État accepte et les travaux sont confiés à l'ingénieur des Ponts et Chaussées Claude Deschamps qui opte pour un édifice en brique et en pierre de Saint-Macaire. L'inauguration se déroule le 30 avril 1822 avec un banquet, de 150 couverts, dressé au milieu du pont pour accueillir les autorités. Pour mon baptême, on me trouve si beau et si élégant que tous les souverains d'Europe viennent me faire une visite de courtoisie. Garonne et Moi, sommes maintenant unis pour l'Éternité. Du moins, je le pensais !

On m'attaque de tous côtés, mais je montrerai à mes concurrents que je suis la fierté des Girondins

En 1861, la ville de Bordeaux m'achète et supprime le péage. En 1865, elle annexe le quartier de La Bastide. Me voici maintenant au cœur de la nouvelle cité. Par trois fois en 1870, 1914 et 1940, Bordeaux sera capitale de la France et j'accueillerai réfugiés, députés, sénateurs, ministres et présidents, chars et soldats ennemis. Que de services j'ai rendu à Bordeaux, à ma Patrie. Personne, même les féroces occupants n'ont pas réussi à me détruire ! En 1860, une décision ministérielle propose de me démanteler sous prétexte que je gêne la navigation. En 1925, un industriel métallurgiste projette de me démolir et de me remplacer par deux ponts en fer. En 1941, une nouvelle décision ministérielle décrète ma mise à mort. À chaque fois, la rébellion bordelaise va empêcher ma disparition.

Le 30 avril 2022, j'aurai 200 ans, mes jambes flageolent, mon dos se courbe...

Aux conseillers inconscients, qui en plus des voitures, camions et bus m'ont flanqué un tram sur la colonne vertébrale. Moi, je ne veux plus porter que des vélos, des piétons ou des calèches comme au temps de ma splendeur. Garonne m'encourage, fière des voiliers qui reviennent pour la fête du Fleuve. Pour mon bicentenaire, j'appelle mes amis à venir danser et ripailler. Pas de souci sur mon avenir. Les protecteurs du patrimoine veillent.

aol mc 2016 21

Source La Mémoire de Bordeaux - http://memoiredebordeaux.wixsite.com/metropole
Avec l'aimable autorisation de reproduction accordée à AquitaineOnLine pour cette interview

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